
Ce n’est pas la difficulté du travail qui devient insupportable. C’est l’abandon de ce qui fait l’essence même du travail. Son intelligence, son cœur, sa capacité d’adaptation aux situations les plus complexes et les plus imprévues.
Les infirmières, les aides-soignantes, tous les personnels qui sont en contact avec des malades, crient leur détresse parce qu’ils n’arrivent plus à réaliser le métier qu’ils aiment, parce que la qualité des soins est empêchée.
Alors que les risques psychosociaux sont aujourd’hui reconnus comme une atteinte grave à la santé, le pouvoir en place feint de les connaître et poursuit les objectifs d’accompagnement imposés par les prédateurs de l’économie. Si l’on ajoute à cela un management d’amateur, amateur parce qu’il manipule des outils qu’il ne maîtrise pas, si les salariés subissent l’évaluation par objectif et l’intéressement individuel qui en découle, alors le pire est à venir. Mais voyons d’abord le contexte global du management.
De l’état de marchandise à celui de ressource
Pour dénoncer la fin de l’esclavage en 1848[1], les employeurs de l’époque disaient que la prospérité de la France ainsi que sa position dans le concert des nations étaient menacées. Aujourd’hui, en 2011, le chômage, la baisse des salaires, la précarité des emplois, assurent la prospérité de la France et sa position dans le concert des nations. Quoi de nouveau ? L’esclave de 1848 est le travailleur pauvre de 2011.
Aujourd’hui, la gestion des ressources humaines est un vocabulaire plus intégré.
« L’idéologie managériale considère l’individu davantage comme une ressource que comme un sujet. L’individu est alors instrumentalisé au service d’objectifs financiers, opératoires, techniques, qui lui font perdre le sens de son action, jusqu’à son existence. Puis un clivage interne s’installe entre l’individu-ressource qui accepte de se soumettre pour répondre aux exigences de son employeur et l’individu-sujet qui résiste à l’instrumentalisation. »[2]
Ressource ? Un matériau, un objet que l’on utilise, que l’on épuise et que l’on jette, comme toutes les matières premières.
Le management des « ressources humaines »
Si les choix économiques représentent le principal facteur des mauvaises conditions de travail, le management des ressources humaines, peut parfois en aggraver le constat.
Pour Loïck Roche[4] l’étymologie du terme management, dans une première acception, part du mot « manager » qui signifie contrôler ; dans une seconde, il se rapporte à ménager, c’est-à-dire soigner ou cultiver. Si la notion de contrôle est parfaitement huilée, celle de soigner ou de cultiver est totalement absente. C’est cette dimension qui fait aujourd’hui défaut : l’humain n’est pas présent dans le management.
Même si les écoles de management attirent de nombreuses critiques de la part des spécialistes du mal-être au travail, elles ont toutefois l’avantage d’enseigner des méthodes et d’en présenter les objectifs et les risques. C’est à partir de ces enseignements, de l’analyse des difficultés et des souffrances de la vie professionnelle que des spécialistes du management des entreprises et des hommes, dont Loïck Roche, proposent « L’éloge du bien-être au travail »[5]. Ils montrent une vision différente du management, garant des conditions de bien-être et de performance et qu’ils appellent, « le slow management ». Pour les auteurs
« les responsables doivent apprendre à se ménager du temps, en dehors des réunions, en dehors des appels téléphoniques, en dehors de la lecture des e-mails, pour réellement comprendre ce qu’il y a dans la tête des hommes et des femmes qu’ils dirigent ; du temps pour les écouter, du temps pour apprendre ; du temps pour enseigner. »[6]
Les DRH, tendance tyrans, devraient d’autant plus les lire, qu’ils ne remettent pas en cause les fondamentaux de l’économie libérale. Pour eux le bien-être au travail est le meilleur investissement pour la rentabilité de l’entreprise et de plus, il soulage la misère humaine. Leurs méthodes et leurs mots sont très différents de ceux employés par les nouveaux bourreaux des temps modernes. Ils consacrent tout un chapitre sur ce que veut dire aimer dans l’entreprise. « Penser autrement, penser contre soi, pour un dirigeant, pour un manager, un chef d’équipe, c’est travailler sur le bien-être d’abord, pour de surcroît atteindre la performance »[7]. Ce ne sont pas des syndicalistes attardés ou des religieux du bonheur, ce sont des professeurs émérites de management, dotés il est vrai et contrairement à de nombreux DRH, de doctorats de psychologie et de philosophie. Ils démontrent qu’il n’y a pas besoin de maltraiter les salariés pour assurer la performance de l’entreprise.
Lorsqu’un cadre pratique le « slow management » présenté par nos trois « doc-auteurs », il n’a pas besoin de muter cette responsabilité en autorité et cette autorité en agressivité. Mais le pouvoir qu’il exerce sur les collaborateurs est dissout par le bien-être au travail qu’il manage. Il disparaît alors que ce qui compte le plus, pour ces « jeunes ripolinés formatés des grandes écoles, avec leur arrogance, leur tête bien faite, sûrs d’eux-mêmes et de leur compétence »,[8] c’est justement ce pouvoir démonstratif, ce pouvoir identique à celui dont peuvent jouir les prédateurs de l’économie avec leur insatiable envie de domination et d’argent pour s’offrir les boulimiques besoins relatifs. Pour le montrer, pour s’élever au-dessus de la populace, n’ayant pas le pouvoir de l’argent qui fascine la foule, le manager devient médiocre, débordant d’autorité et d’agressivité pour compenser tous ses manques et masquer ses incompétences. L’économie décadente conjuguée au pouvoir apparent ne peut que valider l’observation du contrôle sans ménagement.
Pour Philippe Askenazy, chercheur au CNRS, professeur associé à l’Ecole d’Economie de Paris, « la crise chez France Telecom est caractéristique de la faillite des méthodes de management à l’œuvre depuis plusieurs décennies. Un management qui ne prend pas en compte les aspects humains produit des effets délétères. A l’inverse, des méthodes de gestion des ressources humaines axées sur l’individu favorisent l’émergence de bonnes conditions de travail. En tout état de cause, il est indispensable de repenser la formation des managers[9] ».
Sur la formation des managers, précise Michel Gollac, « il est regrettable que l’on puisse être nommé à la tête d’une équipe sans rien connaître de l’homme au travail ni de l’homme en société »[10]. Les formations dispensées dans les écoles d’ingénieurs ou dans les écoles des cadres de la fonction publique devraient donc être modifiées en ce sens.
Pour Marie Pezé[11], c’est sur les pratiques et les connaissances qu’il faut aujourd’hui agir pour sensibiliser les cadres, dès leur formation initiale, à l’impact de leurs décisions sur ceux qui les reçoivent. « Il est particulièrement frappant que, quinze ans après la mise en place de la consultation, on constate encore une augmentation de la souffrance au travail. Au lieu de casser les collectifs pour augmenter les cadences, il est important de redéfinir le « vivre ensemble au travail ».
Le DRH croit savoir et va donc
transmettre aux cadres sa conception du management. Un leurre !
[1] L’esclavage est aboli en 1792 après la révolution et rétabli par Napoléon en 1802.
[2] Vincent de Gaulejac – « Travail, les raisons de la colère » éditions le Seuil 2011 – p 203
[4] Loïck ROCHE, directeur-adjoint, directeur de la pédagogie et doyen du corps professoral de l’école de management de Grenoble- co-auteur de « Éloge du bien-être au travail »- audition au Sénat sur le mal-être au travail -26 mai 2010
[5] Dominique Steiler, Docteur en psychologie et management de l’université de Newcastle : John Sadowsky, diplômé de Stanford, titulaire d’un Doctorate in Business Administration de l’université de Newcastle : Loïck Roche, AMP (Harvard), diplômé de l’ESSEC, docteur en psychologie et docteur en philosophie et depuis 2002 directeur adjoint du Groupe Grenoble Ecole de Management. Ils sont tous les trois auteurs de l’ouvrage “Eloge du bien-être au travail » Presses universitaires de Grenoble -2010
[6] Id-p 63
[7] Id p 93
[8] « Travailler à en mourir » de Paul Moreira et Hubert Prolongeau – Editions Flammarion 2009- p51
[9] Philippe Askenazy, audition au Sénat sur le mal-être au travail – 24 mars 2010
[10] Michel Gollac est chercheur au centre de recherche en économie et en statistique, président du collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux du travail – audition sénat du mercredi 24 février 2010
[11] Psychologue clinicienne, psychanalyste et psychosomaticienne. Elle était en charge de la consultation « Souffrance et travail » au centre d’accueil et de soins hospitaliers (Cash) de Nanterre,
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Table des matières interactive
Première partie ; L’hôpital,cette entreprise disloquée !
Chapitre 1 : Un cocktail à la sauce financière.
- 1.1.2- Le financement de l’hôpital (T2A)
- 1.1.3- L’aide à la performance.
- 1.1.4- La contre-indiquée tarification à l’activité(T2A).
- 1.1.5- Un contrat à tous les étages.
- 1.1.6- Un contrat de pôle jusqu’à l’absurde.
- 1.1.7- L’hôpital redressé pour être concurrentiel
Chapitre 2 ; vous avez dit ressources humaines
- 1.2.1- Le management sans ménagement.
- 1.2.2- Le cadre, ce manager hospitalier.
- 1.2.3- Le dialogue social en panne.
Chapitre 3 : le temps de travailler
- 1.3.1- Le temps de travail malmené !
- 1.3.2- On travaille à crédit ou bénévolement
- 1.3.3- Le temps de travail est un enjeu économique.
Deuxième partie..Des témoins, des causes et des espérances.
Chapitre 1: témoignages
- 2.1.1- Le témoignage des hospitaliers.
- Silence hôpital.
- A l’entrée, le concierge : médiateur ou gladiateur ?
- Un petit tour par les urgences rurales.
- A la rencontre d’une équipe débordée.
- La journée de Rosa, infirmière,
- une Infirmière comme les autres.
- visite du « Centre 15 ».
- Radiographie d’une manipulatrice.
- Quand les cadres s’éveillent !
- Richard un directeur gentil
Chapitre 2 ; causes et conséquences
- Et comme si cela ne suffisait pas !
- L’évaluation détournée
- La fin de la notation : une duperie éhontée !
- Vive le contrat d’objectif individualisé !
- Un contrat broyeur d’hommes.
Chapitre 3 ;
- Les « nains jaunes ».
- Une rencontre surprenante.
Chapitre 4 ; Des espérances
- Osons des réponses.
- Engager le débat sur la santé publique.
- Pour la prévention.
- Pour un hôpital rassemble.
- Pour de nouvelles infirmières :
- Pour préserver les personnels.
- Pour un dialogue social apaisé.