
L’hôpital n’est plus une entité juridique monolithique. Il est subdivisé en pôles d’activité qui peuvent être rangés en deux catégories ; les pôles cliniques et les pôles médico-techniques.
Les pôles cliniques présentent l’ensemble des disciplines médicales qui regroupent des services et des disciplines autour d’une logique d’activité. Il y a ainsi des pôles enfants, des pôles cardiovasculaire et métabolique, pôle femme-mère-couple, pôle digestif, pôle médecine d’urgences, pôle psychiatrie, etc.
Les pôles médico-techniques regroupent des activités médico-techniques (blocs opératoires, imagerie, biologie, pharmacie, etc.)
L’organisation interne de l’hôpital amène aujourd’hui chaque pôle d’activité à facturer ses compétences aussi bien à la sécurité sociale qu’au pôle d’activité qui a prescrit un acte. Si le service médecine commande une radio, le coût de cette radio sera facturé au pôle médecine par le pôle radiologie.
Le pôle passe un contrat qui doit être conforme au projet d’établissement ; qui doit lui-même être conforme au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens passé avec l’Agence Régional de Santé ; qui doit lui-même être conforme au schéma régional de santé ; qui doit lui-même être conforme à l’objectif national de dépense d’assurance maladie ; qui doit lui-même être conforme au choix du gouvernement. La décentralisation n’est pas à l’ordre du jour. Le centralisme est à l’œuvre.
Si les normes fixées par le code de la santé publique ne sont pas respectées, ce n’est pas grave. Personne n’est condamné, sauf s’il y a un décès, une plainte de la famille et un juge qui a les moyens d’enquêter.
Ne croyez surtout pas que ce sera mieux dans les cliniques privées ! Avec moins de personnels qualifiés, la sécurité dans les cliniques privées est inférieure à celle des hôpitaux publics[1] Les marges ainsi économisées sur la qualification des personnels sont distribuées aux actionnaires !
C’est donc le directeur d’hôpital qui signe avec le chef de pôle -qu’il a au préalable nommé- un contrat de pôle précisant les objectifs et les moyens du pôle. Le chef d’un pôle assure la mise en œuvre des objectifs stratégiques. Les fonctions de responsable de pôle peuvent être suspendues par le directeur dans l’intérêt du service. Le chef de pôle organise, avec les équipes médicales, soignantes, administratives et d’encadrement du pôle sur lesquelles il a autorité fonctionnelle, le fonctionnement du pôle. Il affecte, en fonction des nécessités de l’activité et compte tenu des objectifs prévisionnels du pôle, les ressources humaines prévues par le contrat de pôle. Il répartit les moyens qui sont attribués dans les conditions que l’on connaît.
« Lorsque les médecins des hôpitaux publics ne satisfont pas aux obligations qui leur incombent, par exemple, s’ils ne transmettent pas les données médicales nominatives nécessaires à l’analyse de l’activité et à la facturation, dans un délai compatible avec celui imposé à l’établissement, leur rémunération fait l’objet de la retenue. »[2]
La fonction de médecin comptable est née !
Pour l’aider dans cette tâche, et comme indiqué dans le chapitre consacré à l’intéressement, le gouvernement met en place la politique de la carotte et du bâton. Après la motivation financière des directeurs et des médecins aux résultats du pôle d’activité ou de l’hôpital -qui doivent être positifs- il sensibilise les personnels aux bonnes pratiques économiques d’un service. C’est ainsi que les premières réactions se manifestent ça et là. Lorsqu’un agent est autorisé à travailler en temps partiel thérapeutique[3], les responsables du pôle cherchent à le faire muter dans un autre pôle. Il en est de même en ce qui concerne les maternités, les longues maladies sans parler des syndicalistes ou des membres des comités techniques ou d’hygiène de sécurité et des conditions de travail. La gestion de la précarité et de la rigueur devient l’œuvre des personnels eux-mêmes.
Quand les victimes doivent payer les expertises
Les constats dépassent l’imagination. A la suite d’un mouvement revendicatif dans les services de médecine gériatrique pour décrocher des effectifs supplémentaires, le Comité d’Hygiène et de Sécurité et des Conditions de Travail (C.H.S.C.T.) du centre hospitalier de Saint-Nazaire décide de recourir à l’expertise extérieure en application des articles L4614-12 et suivants du code du travail. Le médecin du travail confirme ce malaise et consacre un paragraphe entier aux signes d’épuisement professionnels des personnels de médecine gériatrique dans son rapport annuel. Le président des médecins et le directeur du centre hospitalier, par un courrier du 15 octobre 2008 adressé au secrétaire du CHSCT, informent « qu’il a été prévu par le Conseil Exécutif que la prise en charge financière de la mission d’expertise sera assurée exclusivement par le pôle de médecine polyvalente adulte et gériatrique ». En clair ceux qui se plaignent devront payer le constat de leur plainte !
Mais ce n’est pas tout. Le conseil de pôle, qui réunit médecins et personnels, dénonce l’action du CHSCT. Dans un compte-rendu d’une réunion du 7 octobre 2008, il est écrit : « La position du CHSCT entraîne un certain nombre de conséquences à gérer ; qui va payer ? Qui va supporter ? En sachant que de toute façon ce n’est pas l’hôpital. »
Les salariés des 4 services de médecine gériatrique concernés sont informés et apprennent que les frais de l’expertise demandée par le CHSCT entraînent une suppression de renfort en personnels, le non-remplacement des premiers arrêts maladie et le gel des postes attribués. (Un emploi gelé c’est comme un poisson que l’on sort du congélateur : il est mort !) Cette situation ubuesque reporte sur les personnels en détresse les charges de l’expertise et aggrave ainsi davantage leurs conditions de travail.
Le ministère, saisit par le syndicat, a bien adressé une lettre au directeur du Centre Hospitalier de Saint-Nazaire pour lui préciser que « s’agissant d’une obligation de l’employeur, il convient d’imputer cette dépense sur le budget de l’hôpital et non sur les comptes du pôle concerné. » Le directeur répond au secrétaire du CHSCT « qu’il est le seul ordonnateur des dépenses et qu’il fait ce qu’il veut dans son établissement ». Dialogue social oblige !
C’est l’illustration de la nouvelle gouvernance et de la contractualisation à l’hôpital. Les têtes sont tellement vidées de bon sens, que l’objectif prioritaire d’un service sera d’honorer le contrat de pôle qui pourrait éventuellement générer un intéressement financier.
Dans la mesure où le directeur respecte
le cadre économique fixé par la tutelle, il peut faire tout ce qu’il veut, car
pour les gestionnaires de l’hôpital public, en dehors des finances, le reste
n’a aucune importance. Par contre si le cadre budgétaire imposé au directeur
n’est pas respecté, ce dernier se trouvera dans une situation aussi précaire
que celle qu’il impose au personnel.
[1] Selon la FHF, l’analyse montre que si les ratios de personnel sont supérieurs dans le public pour les personnels qualifiés, ils sont très nettement supérieurs dans le privé pour les personnels non qualifiés (ASH) qui représentent un coût moindre. La qualification des personnels, gage de qualité et de sécurité, est donc bien plus grande dans les hôpitaux publics. Rapport de la FHF Hôpitaux publics et cliniques privées : Une convergence tarifaire faussée » -octobre 2005- p 17
[2] Article L6113-7 du code de la santé publique.
[3] Dans cette situation de temps partiel thérapeutique, l’agent est payé à 100 % quelle que soit sa quotité de travail.
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Table des matières interactive
Première partie ; L’hôpital,cette entreprise disloquée !
Chapitre 1 : Un cocktail à la sauce financière.
- 1.1.2- Le financement de l’hôpital (T2A)
- 1.1.3- L’aide à la performance.
- 1.1.4- La contre-indiquée tarification à l’activité(T2A).
- 1.1.5- Un contrat à tous les étages.
- 1.1.6- Un contrat de pôle jusqu’à l’absurde.
- 1.1.7- L’hôpital redressé pour être concurrentiel
Chapitre 2 ; vous avez dit ressources humaines
- 1.2.1- Le management sans ménagement.
- 1.2.2- Le cadre, ce manager hospitalier.
- 1.2.3- Le dialogue social en panne.
Chapitre 3 : le temps de travailler
- 1.3.1- Le temps de travail malmené !
- 1.3.2- On travaille à crédit ou bénévolement
- 1.3.3- Le temps de travail est un enjeu économique.
Deuxième partie..Des témoins, des causes et des espérances.
Chapitre 1: témoignages
- 2.1.1- Le témoignage des hospitaliers.
- Silence hôpital.
- A l’entrée, le concierge : médiateur ou gladiateur ?
- Un petit tour par les urgences rurales.
- A la rencontre d’une équipe débordée.
- La journée de Rosa, infirmière,
- une Infirmière comme les autres.
- visite du « Centre 15 ».
- Radiographie d’une manipulatrice.
- Quand les cadres s’éveillent !
- Richard un directeur gentil
Chapitre 2 ; causes et conséquences
- Et comme si cela ne suffisait pas !
- L’évaluation détournée
- La fin de la notation : une duperie éhontée !
- Vive le contrat d’objectif individualisé !
- Un contrat broyeur d’hommes.
Chapitre 3 ;
- Les « nains jaunes ».
- Une rencontre surprenante.
Chapitre 4 ; Des espérances
- Osons des réponses.
- Engager le débat sur la santé publique.
- Pour la prévention.
- Pour un hôpital rassemble.
- Pour de nouvelles infirmières :
- Pour préserver les personnels.
- Pour un dialogue social apaisé.