J’ai pris beaucoup de plaisir à lire la première partie du dernier livre de l’économiste Thomas Porcher « Les délaissés »[1]. Avant d’en poursuivre la lecture qui porte sur les solutions, je souhaite réaliser un point d’étape.

Thomas Porcher n’est ni sociologue, ni psychologue du travail. Il est simplement un économiste hétérodoxe, c’est-à-dire, opposé à la doxa qui, depuis 40 ans, nous expliquent que, « la mondialisation et la financiarisation de l’économie devaient apporter un monde meilleur, elles n’ont fait que fragiliser ces populations et creuser les inégalités ».
Le bien-être des habitants et des travailleurs n’est plus un objectif de société il n’est même plus une ambition politique.
Les paragraphes de l’auteur sur la situation du monde du travail m’a particulièrement interpellé. Mais avant cela, je voudrais rappeler ce qui pour moi alimente les maux, mais surtout les traumatismes du travail. J’y vois trois sources essentielles.
- Des modes de production liés directement à des objectifs économiques (toyotisme et spéculation),
- Des formes de management (management directif, Lean management, etc.),
- Des relations interpersonnelles entre les travailleurs.
L’augmentation importante et constante des absences au travail qui résultent des traumatismes du travail, est la conséquence directe de la conjugaison de ces trois sources. Cependant, nous pouvons observer que la nature de ces traumatismes évolue. Si les traumatismes physiques de l’ère industrielle sont contenus dans une accidentologie bien identifiée, les traumatismes psychologiques des activités de service se heurtent aux dénis les plus résistants. Ils sont ainsi déversés dans le vocable rassurant des risques psychosociaux (RPS).
C’est devenu, un véritable marché au sens le plus commerçant du terme. Et si la plupart de ces plans de préventions des risques psychosociaux ne produisent aucun effet sur la santé et le bien-être des travailleurs, c’est certainement parce que la cause des causes n’est pas traitée.
L’entreprise n’est plus un moyen de production, mais devient un outil de spéculation. Le management n’encadre plus les femmes et les hommes, mais gère des ressources. Le travailleur n’est plus un équipier, mais un compétiteur.
Et c’est ainsi que je reçois ce livre de Thomas Porcher et que je souhaite vous en faire partager quelques extraits.
« Vous commencez par retirer des moyens à l’éducation alors que la population est plus jeune, ensuite vous retirez des moyens aux services publics notamment à Pôle emploi alors que la population est plus pauvre et plus touchée par le chômage, puis pour la partie qui travaille en CDI, majoritairement ouvriers et employés, vous concoctez une loi « travail » qui permet de licencier plus facilement, enfin vous retirez les aides sociales leur permettant de survivre. Vous obtenez ainsi une population totalement insécurisée prête à travailler à n’importe quel prix. »
Pour l’auteur, il en est de même de nos agriculteurs. « Parce que s’occuper de nos agriculteurs suppose de remettre en cause des dogmes comme le productivisme, la mondialisation et la financiarisation de notre économie ». En effet, « cette industrialisation de l’agriculture, en plus de provoquer des dégâts environnementaux importants, s’est accompagnée d’un appauvrissement des agriculteurs ».
Quant aux cadres, « coincés entre la direction et la base, les cadres subissent aussi les effets de la financiarisation de l’économie. Avec la logique actionnariale, les stratégies des entreprises se sont considérablement transformées. Désormais la priorité est de distribuer des dividendes aux actionnaires […] Les cadres, qui sont au cœur de la gestion de l’entreprise, doivent donc augmenter les cadences et répercuter sur leurs équipes les objectifs à tenir pour satisfaire les actionnaires. Stress, burn-out, malaise au travail, connexion pendant les jours de repos sont autant de conséquences liées à la gestion actionnariale de l’entreprise. »
« Issues des système de production de Toyota, ces techniques de « lean management », qui visent à dégraisser la production, ont derrière une consonance moderne, un but simple : produire plus avec moins de personnel. Or, pour produire plus avec moins de salariés, il faut exercer une pression sur les salariés restants ».
« La grande hypocrisie de notre société est de faire comme si le burn-out, le malaise au travail ou les suicides étaient la conséquence de problèmes individuels et non pas structurels ».
Thomas Porcher cite ensuite le best-seller mondial Bullshit jobs de David Graeber. Ce dernier démontrait que « les nouveaux métiers de services, et principalement dans l’administration de bureau, le « consulting », le management, l’information ou la comptabilité, sont inutiles et que, de l’avis des salariés eux-mêmes, leur disparition ne changerait rien à la face du monde. Ces emplois sont appelés : des boulots à la con ! […]
Il constate que les emplois vraiment utiles, comme infirmière, professeur, ou chauffeur de bus sont aujourd’hui dévalorisés et mal payés quand d’autres, inutiles, sont valorisés et mieux payés. […] Pour lui, les conséquences d’une telle organisation du monde du travail sont la dépression ou d’autres formes de pathologies mentales pour les personnes qui exercent des emplois inutiles, mais également une forme de jalousie, entraînant suspicion et agressivité envers les personnes effectuant des métiers plus généreux sur le plan moral comme les enseignants ou les personnels hospitaliers. David Graeber appelle à une révolte des salariés et à une vaste réorganisation des valeurs du travail ». [2]
La mondialisation et la financiarisation sont des projets qui ont été promus parles élites politiques (de gauche comme de droite), le patronat et la technocratie étatique avec comme promesse un meilleur niveau de vie pour tous. Elles ont surtout déstabilisé et insécurisé des pans entiers de la société française. Et l’État n’a fait qu’aggraver ce phénomène en réduisant les protections des salariés et des agriculteurs et en affaiblissant les services publics. »
Fermer le ban !
« Lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ». Il nous faut donc faire attention en voulant prévenir les traumatismes du travail, de ne pas passer pour des idiots.
- [1] T. Porcher, Les délaissés, Fayard, 2020.
- [2] D. Graeber, Bullshit jobs, Les liens qui libèrent, 2018.

Hiding Emotions
Œuvre de Hetty Huisman
qui m’a aimablement donné l’autorisation de publier la photo de sa sculpture à l’occasion de la publication de mon livre « Travail: des traumatismes à l’espérance »
Hetty Huisman
artiste sculptrice à
26130 Montségur-Sur-Lauzon
