1- Notre indépendance alimentaire à Saint-Pierre-et-Miquelon !

Emmanuel Macron – avril 2020

Pas de masques ! Pas de tests ! Pas de gel hydroalcoolique. Pas de respirateurs ! Pas de molécules ! Etc. Je pensais, certainement comme vous, que la 6ème puissance économique mondiale, après avoir assuré le nécessaire pour ses concitoyens, pouvait se mettre au service des pays les moins riches. Que nenni ! Non seulement elle ne peut assumer son nécessaire, mais ce sont des médecins Cubains qui sont venus aider notre voisine l’Italie, la principauté d’Andorre (dont le chef de l’État Français est Coprince) et nos départements d’Outre-mer. Le titre de France télévision Martinique est explicite: « Coronavirus : Cuba au secours de la France pour pallier les carences du système de santé ». La France apparaît sous nos yeux comme un colosse aux pieds d’argiles.

Il n’est pas rassurant pour le Gascon que je suis, amateur de bonne chère, de découvrir cette France dépourvue. Elle vient susciter mes interrogations  sur la réalité, ou pas, de notre indépendance alimentaire, avec plus d’acuité encore pour le territoire qui m’abrite.

Saviez-vous que « La France a recours massivement à l’importation de produits agricoles et alimentaires dont une partie importante pourrait être produite sur son territoire. Depuis l’année 2000, les importations ont été presque doublées (+ 87 %) et couvrent une part de plus en plus importante de l’alimentation des Français ». C’est un rapport du sénat qui nous apprend cela [1]. La France exporte son blé. Elle importe sa farine ! La France exporte les plus grands profits (les produits de luxe). Elle importe les meilleurs prix (les tomates) !

Les tomates ! Permettez-moi une incise sur ce produit. L’or rouge de l’Empire Chinois ! La France consomme 850 000 tonnes de tomates par an et en produit 625 000 tonnes. Le principal transformateur français de tomates, la société S.A.S. Conserves de Provence, qui était à l’origine une coopérative agricole fondée en 1947 et qui vend ses produits sous la marque « Le Cabanon », a été rachetée en 2004 par un groupe chinois, la Xinjiang Chalkis Company limited ! « En retraçant le cycle de production du concentré de tomate chinois, Jean-Baptiste Malet explique comment les barils de concentré partent du Xinjiang, en Chine, avant d’être réceptionnés à Tianjin pour être « retravaillés ». Là-bas, relate-t-il, le concentré est coupé avec de la fibre de soja, de l’amidon, du dextrose et des colorants, avant d’être remballé dans de nouvelles boîtes exportées en Afrique ». Il y a des produits de basse qualité destinés aux populations les plus pauvres, surtout dans l’alimentation de base. Pourquoi faudrait-il qu’il y ait des consommateurs poubelles qui vidangeraient des productions malsaines ? » Cet auteur décrit « un monde cauchemardesque où le marché du travail totalement libéralisé renouvelle les formes antiques de l’esclavage, et produit des aliments toxiques pour les pauvres en enrichissant encore plus les multinationales » (« L’empire de l’or rouge » JB Malet (Fayard) 2018).

C’est peut-être un cas extrême (?) mais la France se protège bien mal des escrocs de la chaîne alimentaire. Le même rapport des sénateurs cité ci-dessus, souligne le manque de moyens que s’est donné la France pour contrôler l’alimentation importée. Extrait : « La France y consacre 0,3 € par habitant et par an ; les Pays-Bas, 1,5 € ; la Belgique, 1,7 € et le Danemark, 2,4 € », soit 8 fois plus qu’en France ! Trop de fonctionnaires en France ?

La crise du COVID-19 vient nous rappeler quelques fondamentaux, au premier rang desquels la bonne santé bien sûr, mais aussi notre dépendance dans les approvisionnements des produits qui s’avèrent aujourd’hui de première nécessité.

Selon les auteurs du rapport du sénat « cette voie pour concilier ambition agricole, souveraineté alimentaire et environnement ne passe pas par l’invocation mais par l’innovation ». Le « en même temps » et le temps de la communication sont terminés !

La contribution de la Convention citoyenne pour le climat sur le plan de sortie de crise rappelle, « que depuis plusieurs années les échanges marchands mondiaux croissent, la crise actuelle nous rappelle qu’il est nécessaire de relocaliser les activités des secteurs stratégiques pour assurer notre sécurité alimentaire, sanitaire et énergétique ». [2]

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Et à Saint-Pierre-et-Miquelon ?

Cette question ne manque pas de m’interpeller, moi qui vis maintenant dans un territoire, un archipel, qui, en matière alimentaire, dépend à plus de 90% de l’importation avec des prix qui additionnent tous les intermédiaires. La question doit se poser et des réponses doivent s’afficher. Je n’ai pas d’expertise sur la question mais je peux lire comme vous que « la Nature n’a pas de frontière idéologique ou économique. Tout pousse à peu près partout sur notre planète. Du désert de Gobi aux landes arctiques boréales, jusque dans les grandes profondeurs sombres des océans ou au bord des volcans. Mais quoi ? Encore faut-il s’y intéresser » (Site Permaforêt: Comment cultiver dans les climats froids ?) Ainsi, la permaculture, la biodiversité, la création et l’installation de serres, la culture hydroponique (voir plus bas), toutes ces techniques permettraient d’améliorer notre indépendance alimentaire.

Une longue étude a été publiée sur « La connexion entre la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire et la justice alimentaire dans l’écosystème boréal : le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon » dans la revue « Justice spatiale » n° 9 en janvier 2016. Il existe de nombreuses réserves bien entendu mais cette phrase est encourageante : « Néanmoins, même si la nourriture peut être produite abondamment et de manière rentable grâce à l’implantation de serres sur place, la souveraineté alimentaire est toujours nécessaire ».

Un intéressant rapport a aussi été publié par la DTAM en 2018. Je me suis attardé sur les pages 40 à 42 qui traitent de l’agriculture et le développement de l’autosuffisance alimentaire. La production maraîchère est donc encore loin de l’autosuffisance souhaitée. À titre d’exemple la DTAM estime que la production de laitues en 2014 couvre 55% des besoins, et celle des tomates 12%.

« 4.5 Une forte marge de progression vers l’autosuffisance alimentaire

L’objectif pour Saint-Pierre-et-Miquelon est de se rapprocher le plus possible de l’autosuffisance alimentaire. Comme le prouve une étude sur la consommation de produits locaux, la demande existe, car les habitants de l’archipel sont prêts à privilégier les produits locaux.

Le Schéma de Développement Stratégique (SDS) de Saint-Pierre-et-Miquelon 2010-2030 a inscrit dans son axe 2, l’objectif d’élargir la gamme des produits agricoles pour le marché intérieur, de créer une coopérative professionnelle ou encore une serre maraîchère de 5000m². »

(Rapport complet ICI)

Sans attendre, préparons le jour d’après ! C’est le moment ! Surtout lorsque nous observons une volonté commune et unanime des élus et des acteurs économiques de l’archipel de s’exprimer d’une seule et même voix. S’ils ont pu réaliser cette unanimité une fois, ils pourraient en faire de même pour des laitues, des tomates, des concombres, des courgettes, des choux, des patates et pour les potimarrons que j’adore ! Développer l’indépendance alimentaire de l’archipel est un défi incontournable et réalisable, si l’on en croit ce qui suit.

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La haute technologie au service de l’indépendance alimentaire de l’archipel

J’ai lu avec grand intérêt l’article de blog du député qui informe de la création de « Ligne verte : une ferme high-tech à SPM ». Je cite: « Ligne Verte utilise une technologie nord-américaine brevetée de culture hydroponique verticale en racks, qui permet à la ferme « indoor » de cultiver jusqu’à 10 000 plants. Dans un premier temps, la jeune entreprise agricole high-tech produit différents types de salades (laitues, Batavia, Feuille de chêne, Roquette…), mais aussi des herbes aromatiques (Estragon, Basilic, Aneth, Cresson, Menthe…). Viendra dans un second temps la production de fruits (tomates, fraises…). Ligne verte a créé en sa phase initiale 2 emplois : une responsable de production (ingénieure agronome) et un technicien de production. Cette ferme haute technologie, à la gestion complètement informatisée, démontre par l’innovation qu’il est possible de produire localement et d’approvisionner une partie du marché local toute l’année. »

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Pour en savoir plus sur la culture hydroponique voir ICI.

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Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour aider à l’indépendance alimentaire. Le député s’en félicite et cette entreprise high-tech, entre 2018 et 2020, bénéficie d’une aide de la Collectivité territoriale de 80 0000 € et un peu plus de 200 000 € de l’État. Si tout le monde va dans le même sens tout devient possible. Avec ces aides de la Collectivité et de l’État, la qualité, le goût et le coût devront être comparables à ceux de la métropole. Ce doit être un objectif. La continuité territoriale serait ainsi une réalité !

Pour assurer la pérennité de cette indépendance, le monde d’après ne pourrait-il pas imaginer ici un service public de la production maraîchère ? Les employés de la ville s’activent dans leurs serres pour produire et entretenir les plantes de décoration pour les bureaux, ou pour les massifs de la ville. En s’associant aux entreprises locales du secteur, ne pourraient-ils pas produire ensemble pour les assiettes des habitants ? Offrir une activité nouvelle ? Offrir du travail en période hivernale ? Avec quelles solutions énergétiques ? Le vent, l’eau, le soleil, la mer ?

Avec la technique de la culture hydroponique ci-dessus, nombre de ces problèmes peuvent être résolus en matière de culture maraîchère.

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Suivez-moi encore un peu. Des initiatives s’organisent pour mettre en avant  la résilience alimentaire. La résilience c’est la capacité à encaisser les chocs sans s’effondrer. Des sénatrices et sénateurs, dont celui de Saint-Pierre-et-Miquelon, ont soumis au président de la République, en mars, une proposition sur le thème « Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale » pour  renforcer l’indépendance alimentaire des territoires. Ils ont déposé une proposition de résolution au Sénat au mois de juin 2019 qui débutait ainsi :

Mesdames, Messieurs,« Je suis certain que nous allons désormais à une catastrophe dont notre Histoire ne nous donne aucun exemple, si nous ne changeons pas au plus vite nos coutumes, notre économie et nos politiques. Des avaries imparables suscitent à bord l’alarme finale : “Tous au poste d’évacuation !” Même si, pour les Terriens, dénués de tout canot de sauvetage, elle sonne absurde, elle couvre de sa rumeur l’humble voix franciscaine de mon commencement. Or, hélas, les puissants de la planète n’écoutent, pour le moment, ni l’une, dramatique et irréalisable, ni l’autre, bienheureuse et salvatrice. »

C’était le 20 juin 2019 que cet extrait du « Contrat naturel », paru en 1990, de Michel Serres, a été cité par les sénateurs. Il trouve un écho particulier aujourd’hui, comme une prémonition.

Cyril Dion, souligne la nécessité de faire un plan « pour favoriser l’épanouissement de chaque être humain en veillant à la satisfaction de ses besoins les plus élémentaires (boire, manger, être abrité, soigné,…) ». Dans ces besoins essentiels, figure bien entendu l’alimentaire. (« Petit manuel de résistance contemporaine » Cyril Dion – Editions Actes Sud (2018).

Aujourd’hui c’est le Covid-19. Demain seront annoncés les conséquences du dérèglement climatique. Alerté, il convient de s’y préparer. Imaginer un seul instant que, pour une raison ou pour une autre le transport maritime ou aérien soit empêché pour une durée plus ou moins longue. Donc, l’indépendance alimentaire doit être organisée, et de façon pérenne.

Repartir des besoins essentiels, se libérer du superflu est le défi que nous lancent les jours d’après.

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Qui, dans l’archipel veut mener cette réflexion ? Qui peut la conduire ? Les acteurs locaux sont-ils prêts avec la même unanimité pour s’engager dans cette voie ? Et vous ? lecteur de cet article. Si nous réfléchissions ensemble ?

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La méthode :

Si les retours sur cet article et les autres à paraître, suscitent un intérêt dans la population, c’est-à-dire 4 à 5 personnes par thème (ou autre sujet à soulever), alors il sera possible d’organiser des ateliers de réflexion à partir du mois de septembre/octobre, pour parfaire les idées. Réfléchir ensemble pour que l’archipel soit plus confiant en son avenir, en dehors de tout esprit partisan. Conjuguer l’économique et le social de manière apaisée.

Un des sujets vous intéresse ? Prenez contact : ICI

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[1] Le rapport des sénateurs par M. Laurent DUPLOMB, Mme Françoise FÉRAT et M. Jean-Claude TISSOT du 21 novembre 2019 – ICI – voir page 31 et 32 en particulier.

[2] La Convention Citoyenne pour le Climat a pour vocation de donner la parole aux citoyens et citoyennes pour accélérer la lutte contre le changement climatique. Elle a pour mandat de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale. Décidée par le Président de la République, elle réunit cent cinquante personnes, toutes tirées au sort ; elle illustre la diversité de la société française.

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En complément les reportages et documentaires sur le sujet à Miquelon

Relancer l’élevage de bovins à Miquelon-Langlade : certains y croient

Nous, gens de la terre : Saint-Pierre et Miquelon, Miquelon entre deux eaux

La ferme du Grand Large cherche un repreneur

2 commentaires

  1. Bonjour
    Il serait intéressant de proposer ces mesures à la nouvelle équipe de la mairie :
    -Assurer la sécurité alimentaire de l’archipel, ( permaculture, aquaponie, hydroponie, jardin collectif, serres dans les jardins, relancer l’agriculture avec de l’élevage bovin, porcin, du biologique)
    -Instaurer un revenu de base, ( revenu de base universel pour chaque citoyen distribuer sans condition de revenu ou âge de la naissance à la mort )
    -Développer une santé au travail universelle pour le territoire (coordination et mutualisation des moyens pole handicap, vieillesse, dépendance, domicile , médecine de ville, hôpital)
    – acquérir une certaine indépendance énergétique, (solaire, éolien,géothermie etc ) pour chaque citoyen

    Dans le but d’avoir un territoire plus résilient

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    1. Oui bien entendu. Ces propositions, ses idées n’ont d’intérêt que si elles sont partagées par le plus grand nombre. La mairie de Saint-Pierre et ses élu(es) devront prendre leur part, mais peut-être faut-il leur laisser le temps de l’installation. Les autres sujets seront présentés dans des articles à suivre.

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