Macron va-t-il se réinventer à l’Hôpital ? Le toyotisme est-il mort ?

Résumé:

La pandémie résultant du COVID-19 vient de révéler au grand public qui en est la victime, les conséquences de l’insatiable appétit des possédants de ce monde. Leur richesse est le fruit du pillage de la nature et des hommes par la financiarisation de l’économie.

Après avoir définit ce qu’est le toyotisme, nous découvrirons la déliquescence  de l’hôpital « toyotisé », où l’optimisation des performances, les contrats à tous les étages, le management l’ont détourné de ses missions originelles.

Mais ce toyotisme, œuvre du capital libéré, ne sévit pas qu’à l’hôpital. Le Président de la République dit vouloir tout changer. Malheureusement, il y a loin de la coupe aux lèvres. Les processus en cours et les questions qui se posent dépassent largement le cadre de l’hôpital. Macron peut-il changer ? L’hôpital sera-t-il sa lumière pour repenser notre société ? Va-t-il reconnaître tous les travailleurs délaissés qui en ce moment sauvent toutes les activités essentielles de notre pays ?

Le Toyotisme ?

En matière de gestion de la production, le Taylorisme [1] (1880) et le Fordisme [2] (1908), fondus dans le Toyotisme dans les années 1960, sont les outils de la performance en flux tendus. Le « Lean manufacturing » qualifie la méthode ! C’est la recherche de la valeur ajoutée maximale, au moindre coût et au plus vite. La lutte contre le gaspillage et les coûts superflus s’appuie sur l’objectif des 5 zéros : zéro stock, zéro défaut, zéro papier, zéro panne, zéro délai et l’on pourrait ajouter, zéro masque ! (Ce que l’hôpital a retenu).

En matière de gestion des hommes au travail, ce sera le « Lean management ». Ce n’est pas simplement un outil mais une méthode globale de management qui permet de maintenir l’entreprise sous tension créative. Elle impliquera les salariés dans la résolution de problème mais aussi à la recherche d’économies. Le « Lean management » apparaît donc dans les années 1990 (en même temps que la révolution numérique). Il est présenté dans les bonnes revues comme l’alpha et l’oméga de la qualité du travail et des relations sociales. N’oublions pas que « Lean » en anglais signifie « maigre »,  et « Lean management » une gestion allégée !

Ce sont des outils qui accompagnent, malgré eux, ce libéralisme exacerbé ou l’appât du gain reste la seule finalité. Malgré eux, car à leurs débuts,  les promoteurs de ces organisations rationnelles de la production visaient, certes la performance et le respect des délais, mais aussi la qualité du travail. Comme je l’avais fait remarquer à un jeune directeur d’hôpital qui en vantait les mérites en oubliant le volet qualité du travail : « Vous avez dû sauter des cours ! »

A partir du moment ou l’entreprise est devenue un objet de spéculation dans les années 1990, le toyotisme et ses outils se sont placés au service du meilleur rendement financier oubliant les conditions humaines au travail. C’est au même moment que les « directeurs du personnel » sont devenus des « directeurs des ressources humaines ». Les mots ont du sens.

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L’hôpital « toyotisé »

Le COVID-19 comme révélateur

Le COVID-19 vient de révéler, sous le fard de cette classe dirigeante disqualifiée, l’état réel dans lequel se trouve aujourd’hui l’hôpital public. En 2011, j’avais publié « L’hôpital disloqué » [3] pour exposer les dérives et les risques de cette nouvelle gestion de « l’hôpital entreprise ». Nous sommes nombreux à l’avoir fait depuis tant d’années. Mais les gouvernements et les parlementaires sont restés sourds à toutes ces alertes. La « pensée unique » [4] accomplit son œuvre et lobotomise toutes les consciences !

A travers cet exemple d’un hôpital public disloqué, il faut comprendre les mécanismes qui ont contribué à sa déliquescence.  

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Rappelons-nous le processus qui s’est engagé depuis la Deuxième guerre mondiale.

Les ressources de l’hôpital reposaient essentiellement et depuis 1945 sur un prix de journée. Au regard de l’inflation des dépenses hospitalières, le système sera abandonné en 1983 par l’instauration d’un budget global. Il évoluera en fonction d’un taux fixé nationalement.

En 1991, un schéma régional d’organisation sanitaire est instauré et il est piloté par la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales (DRASS).

En 1996, la mise en place d’un Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie (l’ONDAM) fixe de manière unilatérale l’évolution des dépenses de la sécurité sociale pour l’année qui vient, dont celle de l’hôpital.

En 2003, la mise en place des Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens (CPOM) est assortie, un an plus tard de la tarification à l’activité [5] (T2 A). L’activité n’est plus rémunérée en fonction du coût réel mais en fonction de paramètres établis au niveau national. C’est une régulation par les prix. S’agissant d’une enveloppe fermée, lorsque l’activité augmente le prix diminue. Comme une entreprise, l’hôpital doit générer des recettes. Il ne doit plus être un centre de coût mais un centre créateur de valeur. La combinaison de ces évolutions engendre un très sérieux resserrement des capacités de dépenses hospitalières.

Les outils du Toyotisme appliqués au monde industriel, « Lean manufacturing »et « Lean management », pénètrent l’hôpital.

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Optimiser les performances

Il faut optimiser les performances, assurer une plus grande productivité des établissements. C’est un leitmotiv permanent du ministère de la Santé. Pour cela, l’hôpital peut compter sur l’appui de l’Agence Nationale d’Appui à la Performance (l’ANAP). Elle a été instituée par la Loi du 21 juillet 2009 portant sur la réforme de l’Hôpital et relative aux Patients, à la Santé et aux Territoires (Loi HPST). Ses objectifs sont relativement clairs ;

« Il s’agit de mettre en œuvre une stratégie nationale de performance, liant efficience et qualité autour d’objectifs quantifiés et suivis de manière transparente. De recourir à des méthodes issues du monde de l’industrie »  

Nous y sommes ! Les cinq zéros sont en route !

Ce langage a le mérite d’être clair. La boite à outil pour y parvenir est impressionnante :

  • Outils d’analyse du marché ;
  • Outils d’aide aux recompositions ;
  • Référentiels d’activité, d’immobilier, de RH… ;
  • Référentiels de prise en charge ;
  • Référentiels de bonnes pratiques organisationnelles ;
  • Outils d’accompagnement du changement ;
  • Référentiels de bonnes pratiques (Gestion Prévisionnelle des Empois Et des Compétences) ;
  • Outils d’identification des besoins ;
  • Outils d’appui à la mise en œuvre (lien avec l’organisation)
  • Outils de pilotage de la performance et d’aide à la décision.
  • Etc.

Petite anecdote : lors d’une réunion à Paris de la Commission Nationale des Conditions de Travail des personnels hospitaliers, des représentants de l’ANAP sont venus présenter leur méthode pour lutter contre l’absentéisme à l’hôpital. Pour eux, les arrêts de travail sont du « temps gaspillé » et les agents qui ne sont pas soignants sont des « improductifs ». Cela me valut de rendre compte de cette intervention sous le titre volontairement provocateur : « L’Anaptitude hospitalière» ! Soit !

Il faut pour l’ANAP diffuser une culture de la performance. Elle veut renforcer le pouvoir d’action du directeur, élargir les marges de manœuvre réglementaires et responsabiliser les directeurs sur leurs résultats. C’est un enjeu considérable qui n’a jamais pu aboutir en raison de la distance manifestée par le corps médical. Par la loi HPST, le gouvernement a réussi l’aliénation du corps médical au profit des directeurs en l’intégrant dans le directoire de l’hôpital.

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Un contrat menaçant à tous les étages.

Du ministre aux agents des services hospitaliers, tout est planifié, rien ne peut échapper aux décideurs. Chaque année le ministre de la Santé, sous les ordres de Bercy [6], arrête les tarifs nationaux des prestations pour respecter l’Objectif National de Dépense d’Assurance Maladie. (ONDAM). Les majorités parlementaires s’exécutent !

A son tour, l’Agence Régionale de Santé (ARS) conclut avec chaque établissement de santé un Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM). Il est assorti d’indicateurs de suivi et d’évaluation pour l’amélioration de la maîtrise médicalisée des dépenses et des pratiques professionnelles. Il s’agit d’un contrat unilatéral où tout s’impose et où rien ne se négocie. L’hôpital doit s’engager sur des objectifs quantifiés des activités de soins. C’est un système qui vise à plafonner l’activité des hôpitaux. Si les résultats sont atteints, il poursuit sa route. Si ces objectifs ne sont pas atteints, il sera pénalisé. S’il dépasse les objectifs, il sera sanctionné.[7] En fait la performance demandée consiste à faire mieux avec moins. Certains appellent cela de l’optimisation.

Le directeur d’hôpital qui ne suit pas les injonctions de l’ARS est placé hors de l’établissement dans une position statutaire qui s’appelle pudiquement, « en recherche d’affectation ». En quelque sorte, il est muté d’office au Centre national de gestion « en vue de permettre leur adaptation ou leur reconversion professionnelle ! » Les exécutants consciencieux quant à eux, peuvent quasiment doubler leur rémunération à grand coup de prime de fonctions et de résultats ! Dans le cadre de cet asservissement financier, il n’est plus nécessaire d’être le diable pour le devenir !

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Les « Lean management » s’impose à l’hôpital

Les infirmières, les aides-soignantes, tous les personnels qui sont en contact avec des malades, crient leur détresse parce qu’ils n’arrivent plus à réaliser le métier qu’ils aiment, parce que la qualité des soins est empêchée[8]. Ce n’est pas la difficulté du travail qui devient insupportable, c’est l’abandon de ce qui fait l’essence même du travail. Son intelligence, son cœur, sa capacité d’adaptation aux situations les plus complexes, les plus imprévues et les plus chaleureuses avec les patients et les familles.

Pour Vincent de Gaulejac, la gestion des ressources humaines est un vocabulaire plus intégré. « L’idéologie managériale considère l’individu davantage comme une ressource que comme un sujet. L’individu est alors instrumentalisé au service d’objectifs financiers, opératoires, techniques, qui lui font perdre le sens de son action, jusqu’à son existence. Puis un clivage interne s’installe entre « l’individu-ressource » qui accepte de se soumettre pour répondre aux exigences de son employeur et « l’individu-sujet » qui résiste à l’instrumentalisation. »[9]  

L’humanité nécessaire au travail bien accompli, par des femmes et des hommes intelligents, doués de sens, riches d’expériences, dont les mains sont guidées par les formidables réflexes salvateurs face à l’imprévu, est abandonnée par le plus grand nombre. Les DRH de l’hôpital veulent à leur façon mettre en place le « Lean management », ce management sans gras, sans espace de repos, ce management où toutes les minutes doivent être productives.

Le docteur en Ergonomie hospitalière, Madeleine Estryn-Behar [10], avec qui j’ai beaucoup travaillé, m’expliquait pourquoi les directions avaient enlevé les chaises des chambres des malades sur lesquelles les infirmières se posaient pour exécuter un soin. « Sur la chaise, elles voient le malade dans les yeux, elles discutent, elles perdent du temps. En faisant le soin debout, elles ne sont plus confrontées au regard du malade. Elles exécutent le soin plus rapidement. ». Ainsi le patient en soin devient un client malade qui verra son « infirmière industrielle » juste le temps nécessaire à sa réparation technique.

Lorsqu’on dans sa formation, l’aide-soignante apprend qu’une toilette doit se réaliser en vingt minutes, le « Lean management » ne lui en accorde pas plus de dix ! Quand l’hygiène corporelle des personnes âgées dans un Etablissements Hébergeant des Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) mérite une douche par jour, le « Lean management » n’en donne qu’une par quinzaine ! Quand il manque des agents pour effectuer tout le travail le « Lean management » leur demande de trouver les réponses.

Cette gestion calamiteuse des personnels hospitaliers connaît des conséquences dramatiques. Faut-il rappeler que chaque jour, avant même cette crise du COVID-19, plus de 120 000 fonctionnaires hospitaliers sont absents de leur poste de travail pour des raisons de santé ? Pour ces directeurs rien n’y fait ! Pressés par le pouvoir central, il leur faut mobiliser les personnels et leur faire comprendre que l’hôpital mérite tous les sacrifices. Ils y arrivent parfois. Un syndicaliste m’explique que des infirmières sortent du service à l’heure de la débauche pour aller « dépointer » et retournent ensuite au travail pour terminer leurs soins. Les heures supplémentaires sont mal vues !

Il faut renoncer au droit, au statut, à l’emploi durable, au paiement des heures supplémentaires, à des plannings équilibrés, à des repos fixes, à des jours de repos, à des RTT, à des congés qu’il faudrait épargner sur un compte épargne temps qui n’est pas provisionné.[11] Vive le retour des robes de bure[12] !

Le résultat est là : Pas de masques, pas de sur-blouses, pas de gel hydroalcoolique, pas de respirateurs, pad de tests, suppression de lits, d’emplois, etc.

Comment ne pas comprendre les interrogations qui suivent du Comité Consultatif National d’Ethique des sciences et de la vie ?

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Les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire

Mme Van Lerberghe, alors Directrice Générale de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, (AP-HP) a souhaité que le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) se prononce sur les problèmes éthiques posés par la contrainte budgétaire en milieu hospitalier[13].

« Sur quels critères peut-on fonder une décision équitable lorsqu’il s’agit de choisir entre deux impératifs souvent contradictoires : préserver la santé d’un individu et gérer au mieux celle d’une communauté de personnes ? »

Doit-on suivre une logique de santé solidaire mutualisée ou affecter au mieux les fonds publics dans le sens d’un bien commun auquel chacun a droit ?  « Négliger la mission sociale de l’hôpital ferait courir le risque d’aggraver ces disparités socio-économiques ».

Le CCNE reprend ensuite la position du Fonds Monétaire International sur les dépenses de santé. Les auteurs d’une étude du FMI[14] signalent que « le coût de la santé ne peut être traité à partir de la seule approche comptable ». En effet, estiment-ils, « la logique de marché ne lui est pas adaptée en raison du risque d’inflation lié à l’asymétrie entre l’offre de soins et de la demande des patients, qui nécessite un arbitrage de l’Etat. Il est important de rappeler que les dépenses de santé correspondent aussi à des investissements qui présentent eux-mêmes une incidence positive sur l’activité économique ».

En conséquence, conclut le FMI, « un examen global de l’activité hospitalière se doit de comparer les dépenses qu’elle engendre et l’ensemble des bénéfices directs et indirects qu’elle induit. Une dépense initiale peut générer des économies substantielles ». C’est on ne peut plus clair.

Le CCNE recommande « de se réinterroger sur la mission primaire essentielle de l’hôpital. Celle-ci a en effet dérivé de sa mission originelle d’accueil de la précarité et de la maladie, puis de sa mission de recherche et d’enseignement, vers la situation actuelle qui fait de plus en plus de l’hôpital un service public, industriel et commercial qui a pour conséquence de déboucher sur un primat absolu donné à la rentabilité économique, au lieu de continuer à lui conférer une dimension sociale. »

Enfin, le Comité d’Ethique recommande de s’assurer du maintien du lien social pour éviter que la personne ne sombre dans l’exclusion une fois le diagnostic fait et le traitement entrepris.

Il conclut ainsi : « Quelle logique est à l’œuvre, si le succès médical est suivi d’une mort sociale ? »

C’était en 2007 !Un message inaudible en France ! C’était en 2007 et aucun gouvernement depuis ne suivra aucun de ces avis. C’est ainsi que progressivement, l’hôpital public décline ! Le libéralisme fait son œuvre ! Les gouvernements piétinent toutes les recommandations du CCNE. Mais comment s’en étonner ?

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Au-delà de l’hôpital

Cet exemple de l’hôpital disloqué par le toyotisme s’est appliqué à tous les étages de la République, dans tous les services publics, dans toutes les entreprises, dans toute la production agricole. Il est devenu l’alpha et l’oméga, non seulement de la production, mais aussi de la conception même de l’État. Le toyotisme veut lutter contre le gaspillage et les coûts superflus, mais il ne désigne pas ce qui relève du gaspillage ou du superflu.

Hubert Prolongeau et Paul Moreira dans leur livre « Travailler à en mourir »[15] décrivent parfaitement ce petit monde dans lequel le salarié est devenu source de profit ou d’économie ; une variable d’ajustement lissant toutes les crises. Là, le stress est un carburant qui alimente la machine à broyer les hommes. Même si ce n’est pas son objet, la lecture de cet ouvrage établit que le totalitarisme est bien actuel. Elle apporte des éclairages saisissants pour ceux qui travaillent à l’hôpital et qui pensent que l’organisation autour d’un malade mérite quelques concessions. Il n’en n’est rien. Tout s’organise pour que ce malade devienne une pièce mécanique aussi froide que l’acier.Les auteurs précisent que les suicides dont on parle dans la presse ne sont que la partie apparente d’une épidémie invisible.

« L’arrivée des jeunes ripolinés, formatés des grandes écoles, avec leur arrogance, leur tête bien faite, sûrs d’eux-mêmes et de leur compétence » n’a fait qu’accélérer le processus. Ces mots pourraient aussi s’appliquer aux arrogances de quelques baronnies médicales.

Le siècle des lumières, les philosophes, l’égalité, la solidarité, les sciences sociales et humaines en général, sont relégués au rang des archaïsmes incompatibles avec le toyotisme contemporain.

Comment peut-on imaginer d’imposer ce monde à des personnels hospitaliers dont l’empathie envers les malades est bien souvent synonyme de souffrance au travail ? C’est dur, mais je dois !

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L’impossible métamorphose du Président Macron ?

C’est tout à fait improbable quand on observe le parcours de cet homme. Sorti de l’ENA, il  entre à l’inspection des finances en 2004, rapporteur de la commission Attali en 2007 pour « libérer la croissance », en 2008 il se met en congés de Bercy pour pantoufler à la Banque Rothschild dont il devient associé-gérant en 2010. En 2012 il participe à la campagne électorale de François Hollande qui élu Président le nommera secrétaire général adjoint de son cabinet. Deux ans plus tard, en 2014, il devient ministre de l’économie en poussant un certain Arnaud Montebourg vers la sortie. La mondialisation et le made in France ne sont pas compatibles. La suite alimente l’actualité présente.

L’enquête détaillée de Laurent Mauduit, « LA CASTE » révèle comment la haute Fonction Publique et les banques ont pris le pouvoir et combien le Président Macron est devenu le produit le plus aboutit de cette inquiétante mutation.[16]

Quelques phrases sonnent le glas des espérances. Ce co-fondateur de Médiapart nous énumère tout d’abord la très longue liste de tous les pantouflages et repenpantouflages  qui passent indifféremment des banques privées aux bureaux de Bercy et qui ont pris les commandes de l’Etat.

« Les hauts fonctionnaires restés fidèles à l’intérêt général sont invités à comprendre que la légitimité professionnelle, c’est le privé qui la donne, et que le public est une zone de second rang. La tendance à privilégier des candidatures issues du privé plutôt que de la sphère publique correspond à l’inclinaison personnelle du chef de l’état. Emmanuel Macron est le produit le plus abouti de cette mutation de la haute fonction publique – sa privatisation progressive, si l’on peut dire ». Il a réalisé l’OPA sur l’Etat !

Il décrit ensuite ce prêt à penser de Bercy qui est celui où Emmanuel Macron puise son inspiration ».

« Pour les grands prêtres de la religion officielle, les croisés de la pensée unique. […]  Les salaires augmentent trop vite, a l’instar des déficits ; la France vit au dessus de ses moyens ; le modèle social est trop généreux ; l’assurance chômage trop dispendieuse ; il faut faire des économies sur l’assurance maladie ; et plus encore sur les régimes de retraite ; [17] Pour ces religieux de la pensée unique, « il est impératif de modifier le partage entre le capital et le travail, pour avantager le premier et désavantager le second. Il faut avantager les profits au détriment de salaires ».

Pour prendre toute la mesure de cette emprise des banques sur le pouvoir il ne faut pas éviter la lecture du livre de Catherine Le Gall et Denis Robert « Les Prédateurs – des milliardaires contre les Etats » [18] ou bien encore, « L’YDRE MONDIALE- L’oligopole bancaire » de François Morin [19].

C’est par la lecture de ces ouvrages que l’on peut comprendre l’impuissance publique lorsque les Etats tentent de légiférer directement sur le secteur bancaire.

Deux exemples permettent d’illustrer ce constat :

1- L’échec de la séparation des activités bancaires qui devait découler des enseignements de la crise économique de 2007-2008. Rappelons les promesses électorales de François Hollande en 2012 : « Mon véritable adversaire, annonce le futur président. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance.  

Dans ses propositions on peut noter : « Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives. Il sera mis fin aux produits financiers toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l’économie »

Mais un certain Emmanuel Macron est nommé directeur adjoint du cabinet du Président François Hollande dès 2012 et Ministre des finances en 2014 !

2- L’échec de la mise en œuvre d’une Taxe sur les Transactions Financières (TTF) Européenne, torpillée en 2017 par un certain Emmanuel Macron. Un accord était possible entre dix pays, mais le Président Macron a voulu imposer que ce soit pour les vingt sept !

Son image de « Président des riches » ne repose pas uniquement sur la suppression de l’impôt sur la fortune qui en est devenu le symbole, mais sur sa théorie inique du ruissellement qui réserverait aux plus pauvres les excédents des plus riches. Mais ces derniers, y compris notre cher Président,  développent  la prospérité  non seulement pour assurer le surnuméraire de leur existence, mais aussi, celle de leurs enfants, petits enfants et arrières petits enfants. Leur appétit est tout à fait insatiable !

C’est un sentiment d’inégalité morale et politique qui s’installe parmi les hommes et que décrivait Jean-Jacques ROUSSEAU[20] en 1755:

« Je conçois dans l’Espèce humaine deux sortes d’inégalité ; l’une que j’appelle naturelle, ou Physique, parce qu’elle est établie par la Nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du Corps, et des qualités de l’Esprit, ou de l’Ame ; l’autre qu’on peut appeler inégalité morale, ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte de convention, et qu’elle est établie ou du moins autorisée par le consentement des Hommes. Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques uns jouissent, au préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus honorés, plus Puissants qu’eux, ou mêmes de s’en faire obéir. »

Si nous savons aujourd’hui que d’une chrysalide il peut naître le plus beau des papillons et, en même temps, nous observons que d’un Président Macron ne peuvent survivent que les riches ! Sauf si….

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Un Président qui veut se réinventer !

Le Président Macron, surfe sur la vague populaire qui encense les personnels hospitaliers pour tenter de regagner la sympathie qui lui fait tant défaut. Il en fait de même avec le très controversé Professeur Didier Raoult qui bénéficie lui aussi de ce soutient populaire. Les paroles ne coûtent pas chers et le Président de la République en offre beaucoup ! Dans ses déclarations des 12 et 16 mars 2020, ses mots retentissent, non comme une grande espérance de plus, mais comme un revirement radical.

« Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour ». « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat Providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie à d’autres est une folie. »

Le CCNE dans son avis n°101 ne disait pas autre chose :

« La logique de marché ne lui est pas adaptée en raison du risque d’inflation lié à l’asymétrie entre l’offre de soins et de la demande des patients, qui nécessite un arbitrage de l’Etat. Il est important de rappeler que les dépenses de santé correspondent aussi à des investissements qui présentent eux-mêmes une incidence positive sur l’activité économique ».

Et le président poursuit :

« Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai. ».

« Beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées, seront remises en cause. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai. Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant. Nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences. »

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Mais il y a loin de la coupe aux lèvres

En pleine pandémie, après les interventions du Président de la République, le directeur de l’Agence Régionale de Santé du Grand-Est, rappelle les directives du gouvernement.

« Il n’y a pas de raison d’interrompre les suppression de postes et de lits au CHRU de Nancy » (suppression de 174 lits et de 598 postes). « Nous aurons quelques semaines de retard mais la trajectoire restera la même », avait-il ajouté.

Le ministre de la santé tente dans un premier de temporiser, mais ce directeur d’ARS, nommé par le gouvernement ne pouvait pas faire autre chose que d’appliquer les directives du gouvernement, entérinées par les députés de la majorité ! Ce préfet de la santé sera limogé dès le Conseil des ministres suivant. Communication oblige ! En même temps, ce Conseil des ministres aurait pu limoger le préfet Lallement pour ses propos injurieux vis-à-vis des personnes en réanimation du fait du coronas-virus :  « Ceux qui sont aujourd’hui hospitalisés, ceux qu’on trouve dans les réanimations, ce sont ceux qui, au début du confinement, ne l’ont pas respecté, c’est très simple, il y a une corrélation très simple ».

L’exemple de l’hôpital public, des EHPAD et de tous les services publics mobilisés, explose aux yeux de la nation comme un cri de détresse. Il révèle l’abandon de l’intérêt général, l’abandon de ce qui fait société, solidarité, équité, au profit de l’intérêt exclusif de quelques-uns. Cette crise met en avant « les gens qui ne sont rien » et qui ont montré qu’ils étaient bien « les premiers de cordées ». De nombreux intellectuels de toutes disciplines pensent que cette crise, comme toutes les crises planétaires, devra déboucher sur un rebond des consciences pour repenser un monde plus équitable, plus soucieux de la nature et des hommes qu’elle abrite. Parmi eux,  Dominique Méda, sociologue invite à la réflexion « La crise du Covid-19 nous oblige à réévaluer l’utilité sociale des métiers » [21]

Mais avant tout, je rejoins les conclusions de l’auteur de « LA CASTE » pour qui, « le combat pour un renouveau démocratique rejoint le combat contre ce capitalisme qui fait main basse sur la sphère publique ».

Le lundi 13 avril le Président Macron confirme « la nécessité de se réinventer, moi le premier ! ».

Le Toyotisme peut-il mourir à l’hôpital ? ». Le Macronisme LREM peut-il sombrer avec lui ? L’hôpital sera-t-il la lumière d’Emmanuel Macron pour repenser notre République, notre société ? Deviendra t-il le Roosevelt du 21e siècle ? Va-t-il reconnaître tous les travailleurs délaissés qui sauvent actuellement toutes les activités essentielles de notre pays ?

Les mois qui viennent apporteront quelques réponses, mais au-delà de la seule France qui pourrait refaire sa Révolution, l’économie mondialisée ne devrait-elle pas replacer l’homme et la nature comme centre d’intérêts pour les prochaines décennies ?

Mais y croire sans preuve ne serait-il pas le confinement dans le « Lean politique » ?

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[1] Taylorisme : Méthode d’organisation scientifique du travail industriel, par l’utilisation maximale de l’outillage et la suppression des gestes inutiles

[2] Fordisme : Mode de développement industriel visant à accroître la productivité par la réorganisation du travail.

[3] « L’hôpital disloqué » Denis Garnier, Editions « Le Manuscrit » (2011)

[4] Pour en savoir plus, « La pensée unique » par Ignacio Ramonet  dans Le Monde Diplomatique -janvier 1995.

[5] La T2 A est un outil de régulation des dépenses hospitalières qui repose essentiellement sur une échelle nationale des coûts (ENC) établie en fonction de données observées dans des établissements. Ces coûts sont fixés par groupe homogène de malades et de séjours et servent à la facturation des actes.

[6] Lorsqu’un projet, qui porte sur les personnels hospitaliers, est présenté au Conseil Supérieur de la Fonction Publique Hospitalière, il doit systématiquement recevoir l’aval de Bercy, sinon, même s’il fait l’objet d’un accord unanime avec les syndicats représentatifs, il est rejeté.

[7] Information citée dans Le Figaro qui s’est procuré un document de travail daté du 7 janvier 2011 dans lequel la Direction Générale de l’Offre de Soins évoque la mise en place de sanctions pour les hôpitaux qui dépasseraient un certain volume d’activité.

[8]  La qualité empêchée, dans « Le travail à coeur » – Yves Clot (Editions La découverte- 2015)

[9] Vincent de Gaulejac – « Travail, les raisons de la colère » éditions le Seuil 2011 – p 203

[10] Madeleine Estryn-Béhar : « Stress et souffrance des soignants à l’hôpital: Reconnaissance, analyse et prévention » Editions ESTEM – 1997 –  « Ergonomie hospitalière – Théorie et pratique » – Editions Octarès- 2011

[11] Cour des comptes rapport 2010 : Ce rapport attire l’attention du ministère de la santé sur l’absence de provisionnement des CET dans le budget des hôpitaux. Il faut provisionner, même le travail à crédit.

[12] Vêtement fait de cette étoffe, porté par les membres de certains ordres religieux qui ont fait vœu de pauvreté.

[13] Avis n°101 du CCNE du 28 juin 2007.

[14] What macroeconomists should know about Health Care Policy» e William C. Hsiao et Peter S. Heller).

[15] « Travailler à en mourir » de Paul Moreira et Hubert Prolongeau – Editions Flammarion 2009 – (publié à la suite de la crise suicidaire à France-Télécom)

[16] « LA CASTE » Laurent Mauduit, éditions La découverte 2019

[17] Pour mémoire, une infirmière, dont le diplôme est du niveau licence (Bac +3),  débute sa carrière à 1600 € net (primes comprises) pour la terminer à 2 800 euros 26 ans plus tard ! Retraite inférieure à 2000 euros par mois. Une aide-soignante débute à 1400 euros pour terminer à 1850 euros,  30 ans plus tard ! La retraite sera d’environ 1300 euros par mois.

[18] « Les Prédateurs – Des milliardaires contre les Etats » – Catherine Le Gall et Denis Robert – Editions Cherche-Midi (2018)

[19] « L’HYDRE MONDIALE – L’oligopole bancaire » – François Morin – Lux Editeur (2015)

[20] J.J. Rousseau : « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes »- 1755

[21] Dominique Méda : « La crise du Covid-19 nous oblige à réévaluer l’utilité sociale des métiers » (Pour l’Eco – 18 mars 2020)