Plus de 1200 médecins hospitaliers ont démissionné de leurs fonctions administratives. Ils demandent des négociations sur le budget, les salaires, etc. Mais rien ne se passe et c’est normal car c’est une démission administrative partielle qui ne dérange personne. La codification des actes est une fonction administrative. En l’arrêtant vous deviendrez cohérents avec les objectifs poursuivis.
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Cher docteur,
Pour protester contre la manque de moyen, contre cette vision mercantile des soins de cet hôpital entreprise qui ne porte plus les valeurs qui ont fait sa réputation, quelques-uns de vos confrères et peut-être vous-même, ont décidé de démissionner de la Commission Médicale d’Etablissement (CME).
C’est un geste fort de la part ce celles et ceux qui ont cru à la nouvelle gouvernance de l’hôpital imposée par l’ordonnance du 2 mai 2005. Il ne fallait pas rêver. Si les médecins ont été intégrés dans la gouvernance de l’hôpital c’était pour les associer à l’application des lois précédentes et à venir ;
- L’Ordonnance du 4 septembre 2003 pour mettre en place les Contrats d’Objectifs et de Moyens (CPOM),
- La loi du du 18 décembre 2003 dans le cadre du plan Hôpital 2007″ pour imposer la tarification à l’activité (T2A),
- Donc l’ordonnance du 2 mai 2005 pour intégrer les médecins dans le conseil exécutif de l’hôpital,
- Enfin la loi du 21 juillet 2009, dite loi HPST, qui organise le tout avec la création des Agences Régionales de Santé qui vont placer les hôpitaux sous sa tutelle financière à coup de contrats et sans marge de manœuvre. Le conseil exécutif de 2005 est transformé en directoire que le Président de la CME vice-préside, avec pour mission d’élaborer le projet médical de l’hôpital avec le directeur, et de coordonner la politique médicale de l’établissement.
Vous êtes devenus en quelque sort les complices contraints de la camisole budgétaire qui a considérablement réduit les moyens de l’hôpital. Comment s’en étonner ?
Sans avoir protesté à l’époque et satisfait des pouvoirs que vous aviez obtenu, vous vous êtes enfermés dans les CPOM, qui sont des contrats unilatéraux qui doivent s’inscrire dans les orientations de la politique nationale de santé et se conformer aux dispositions financières prévues par les lois de financement de la sécurité sociale. Ces contrats, qui ne peuvent être dénoncés que par l’Agence Régionale de Santé (ARS), prévoient les engagements de retour à l’équilibre financier et intègrent des objectifs de maîtrise médicalisée des dépenses. C’est devenu votre travail dans les CME.
Pour aller au bout de la logique il fallait vous convaincre en créant des pôles et des chefs pour organiser les équipes médicales, soignantes et passer d’autres contrats qui doivent tenir compte des objectifs fixés par les directeurs qui eux même sont obligés de s’exécuter pour éviter d’être placé en recherche d’affectation, c’est-à-dire hors de l’hôpital.

D’années en années, les réalités apparaissent et les CME sont devenues des instances qui s’agitent sur l’écume des vagues pendant que le pouvoir de décision a été transféré en totalité aux Agences régionales de Santé. Même les directeurs d’hôpitaux sont devenus des agents serviles dont les qualités ne sont appréciées qu’en matière de résultats comptables. Alors que dire de la place des médecins dans ce concert de machines à calculer ?
Plus qu’un outil de financement, la T2A est un outil de régulation des coûts. L’activité n’est plus rémunérée en fonction du coût réel mais en fonction de paramètres définis au niveau national. C’est une régulation par les prix car, étant un système d’enveloppe fermée, lorsque l’activité augmente le prix diminue.
Une formation sur la T2A vous apprend comment il faut organiser la réduction des coûts. Par exemple en développant les CDD pour les personnels soignants, en différant les recrutements, en adaptant les soins et la qualité du matériel utilisé en fonction de l’âge du patient, etc. Au cœur des services, il vous revient donc d’étudier toutes les sources d’économies possibles. Le malade est devenu une ressource financière que l’ont fait rentrer ou sortir en fonction de considérations comptables. Un séjour trop long c’est une perte de recettes. Le fractionner en plusieurs fois optimise les recettes. La maladie du patient n’est plus la raison. Le lit et les malades doivent devenir rentables et vous êtes devenus, presque malgré vous, la cheville ouvrière du système.
Les contrats, la nouvelle gouvernance, la tarification à l’activité, vous ont progressivement éloigné du soin pour vous muter en artisans de la comptabilité hospitalière. Certains de vos confrères hospitaliers ont même abandonné les patients pour se consacrer uniquement à cette comptabilité des soins dans des départements d’information médicale (DIM). Ce sont devenus les techniciens de la chose ! Directement ou indirectement, toutes celles et tous ceux qui participent à cette chaîne comptable, dont des médecins hospitaliers, sont complices de la crise qui frappe aujourd’hui l’hôpital.
Cela fait des années que cette situation est dénoncée et des mois que les personnels hospitaliers se sont mis en grève pour protester contre cet état de faits. Vous, les médecins, solidairement attachés à ce service public hospitalier, vous avez entrepris des actions pour tenter d’inverser cette orientation maléfique. Mais rien n’y fait, car les malades sont soignés, les actes sont codifiés, les factures sont émises et les recettes sont enregistrées.
Pourtant, si vous n’avez aucun moyen de bloquer l’économie du pays, vous avez les moyens de replacer la qualité des soins et donc de l’hôpital, au dessus de sa comptabilité.
Toute l’organisation hospitalière repose aujourd’hui sur la tarification à l’activité qui dépend de la codification des actes.Vous souhaitez démissionner des fonctions administratives en désertant les CME ? Mais la codification de vos actes n’est-elle pas une tâche administrative ? Alors organisez-vous. Allez au bout de vos convictions et laisser tomber la codification des actes qui entraîne leur facturation. Consacrez-vous uniquement aux malades et à leurs attentes avec vos équipes soignantes.
En refusant de participer au système que vous dénoncez il existera peut-être un moyen de sortir l’hôpital de la crise qu’il connaît.
En attendant, avec ou sans CME, les malades sont moins bien traités que la facturation de leur séjour.
Denis Garnier,