Max Masse (*) est un expert en matière de santé sécurité au travail. Par l’écriture d’articles en commun, mais pas seulement, j’ai pu apprécier ses analyses qui aiguisent les observations pour les traduire en raisonnements constructifs. Partisan acharné de la co-construction il s’appuie sur l’intelligence des femmes et des hommes au travail pour avancer. Son livre en est la parfaite illustration.
Rencontre avec Max Masse, auteur de « Risquons la sécurité du travail ! » –
Edilivre. 12 juin 2018 et vice-président de la Fédération des Acteurs de Prévention.
Quel est le sujet de votre livre ?
Cet ouvrage invite à une forme d’hérésie : remettre en cause le bien-fondé de l’évaluation des risques professionnels et du document unique, créés respectivement par la réglementation française il y a 27 et 17 ans.
C’est un essai, c’est-à-dire « un livre pour faire des livres ; il ne peut passer pour bon qu’en raison du nombre de fétus d’ouvrages qu’il renferme » (Chateaubriand)
Il se structure autour d’une question centrale : quel travail, quelle sécurité et quelle acceptabilité régissent véritablement aujourd’hui les risques dits « professionnels » quand le terrorisme, la cybercriminalité… peuvent impacter les activités de travail ?
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Cet écrit complète les riches travaux en cours avec les membres de la Fédération des acteurs de la prévention (FAP), http://www.federation-prevention.com/. La FAP a organisé des séminaires, des ateliers, des conférences et a également publié des articles sur cette question de l’évaluation des risques (elle travaille actuellement sur un projet de livre blanc). J’ai été associé directement ou en soutien lors de l’ensemble de ces évènements. Dans ces travaux comme dans mon essai, l’objectif est triple :
– comprendre pourquoi l’évaluation des risques et surtout le document unique font l’objet de tant de débats et controverses ;
– travailler sur des pistes d’amélioration ;
– interpeller les décideurs institutionnels.
À quels lecteurs ou lectrices cet essai s’adresse-t-il ?
Quand nous traversons la rue, quand nous prenons un plat très chaud ou quand nous montons sur un tabouret, nous effectuons sans y penser une évaluation des risques d’écrasement, de brûlure ou de chute. Sur le principe, tout le monde est donc concerné par le sujet et par les parties de l’ouvrage consacrées aux notions de danger et de dangerosité, de risque, de sécurité.
Mais bien évidement les parties prenantes de la santé et sécurité au travail sont directement impliquées dans le sujet ; les employeurs privés et publics, les responsables des ressources humaines, les préventeurs, les responsables syndicaux, les salariés et agents publics.
Enfin les coûts économiques, sociaux, humains des accidents du travail et des maladies professionnelles, des risques psychosociaux (stress, burn out…) nous concernent également comme citoyens, contribuables, usagers, patients et assurés sociaux.
Quel est le message central ?
Revisiter les notions fondamentales, impliquer chaque partie prenante, s’engager dans une approche individuelle et collective partagée et prospective, voici les pistes proposées sans prétention dans cet essai ; au seul risque de déranger quelques repères ou certitudes et de partager quelques expériences avec les lecteurs et lectrices.
Il s’agit donc moins de transmettre que d’interpeller pour aller plus loin ensemble.
Où sont puisées les références qui sous-tendent votre analyse et votre argumentaire ?
Dans mon expérience de quarante-trois années d’activités au ministère du travail (dont 10 ans d’inspection), dans les travaux de la FAP (ses membres et les publics rencontrés) et dans de très nombreuses lectures professionnelles et scientifiques dans des champs disciplinaires très vastes.
Quels sont vos projets d’écriture ?
Un ouvrage est en cours sur les enjeux et les déterminants des dispositifs de professionnalisation en santé et sécurité du travail ; on pourrait parler de l’évaluation des risques d’apprentissage professionnel pour améliorer le développement des compétences à titre individuel et collectif.
Vous pouvez retrouver de nombreux écrits sur Andralogiques, https://santetravail.hypotheses.org
Ne pensez-vous pas que si la timidité de la prévention des risques professionnels est en partie due à l’autorité de l’employeur sur son développement ?
Je suis assez d’accord du point de vue du passé. C’est en partie pour cette raison que l’ouvrage se termine sur une analyse prospective de la gouvernance de la santé au travail et de la mobilisation de toute la chaîne de travail comme vous l’avez montré dans l’article sur PSA de votre blog. Toutefois, je fais le constat que le système actuel reste bloqué parce que, d’une part, il « bénéficie » au business de la prévention (toutes catégories confondues) et que, d’autre part, les partenaires sociaux ne semblent pas vouloir prendre véritablement les choses en main à la hauteur des problèmes quotidiens et comme vous le dites des « traumatismes du travail ».(1)
Comme vous le savez je suis partisan d’un service de santé au travail interentreprises comme interlocuteur unique des entreprises, service intégré dans un réseau de prévention. Qu’en pensez-vous ?
Les principes de gouvernance et de responsabilisation collective s’accommodent mal à première vue d’une externalisation de la partie opérationnelle de la prévention, si l’on considère que le rôle fondamental de cette dernière, pour être efficace, doit faire le lien entre les prescriptions « descendantes » et les « remontées » de terrain. Je vois au travers de votre question des éléments forts du projet que vous portez à Saint Pierre et Miquelon. Si cette perspective me semble totalement adaptée au contexte insulaire (taille des entreprises, effectifs, proximité des parties prenantes…), je ne sais pas si elle peut être déployée sur l’ensemble du territoire de la métropole. La question mérite en tout cas une attention particulière et les résultats des travaux de la Mission Lecoq-Dupuis-Forest nous donneront certainement un autre éclairage.
Un dernier mot pour les lecteurs ?
Mon essai souhaite, comme nous le faisons à la FAP, poser les problèmes sans déni et sans facilité, sans prévention et sans prétention. Nous souhaitons ouvrir le plus grand champ possible de réflexion et de proposition grâce aux rencontres, débats, controverses que nous allons organiser.
Vous êtes tous et toutes les bienvenu(e)s pour y contribuer ; les informations sur les évènements à suivre se trouvent sur le site de la FAP et sur les réseaux sociaux.
Entretien du 21 juin 2018
(1) J’emploi cette expression qui caractérise mieux toutes les conséquences des accidents du travail et maladies professionnelles, reconnus ou non reconnus.
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Pour les curieux ou les futurs débateurs vous pouvez vous procurer l’ouvrage chez Edilivre (14 € sous format papier et 1,99 € sous format numérique) : https://www.edilivre.com/librairie/risquons-la-securite-du-travail-max-masse.html/
(*) Professionnel-chercheur et lanceur d’idées, Max Masse œuvre sur les questions de santé-sécurité au travail dans la fonction publique française depuis une dizaine d’années. Auteur de nombreuses publications professionnelles et scientifiques, conférenciers dans des colloques ou des salons, il propose un regard critique et parfois décalé sur le monde dit « de la prévention des risques professionnels ». Responsabilité, conviction et engagement portent son discours pour penser la gouvernance de la santé et de la sécurité au travail par, pour et avec les femmes et les hommes qui socio-construisent et socio-produisent ce travail.