Hôpital public et santé pour tous : Osons des réponses.

Paru en 2011, « L’hôpital »disloqué » fut un lanceur d’alerte, une bouteille jetée à la mer dans un océan d’indifférence. Les gouvernements et les élus godillots n’ont que faire d’alertes qui n’accompagnent pas leurs certitudes néolibérales par lesquelles le service public, patrimoine de ceux qui n’ont rien, est un frein au marché libre et aux profits de quelques-uns. Une autre voie parait possible.

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(Avertissement tout ce qui suit a été écrit en 2011)

Engager le débat sur la santé publique (*)

L’augmentation du niveau de vie des plus pauvres, améliore sensiblement leur état de santé. Donc, sous réserve des choix que la France doit engager pour retrouver son indépendance économique, des réponses peuvent se projeter pour préserver la santé de tous.

Il faut rappeler la définition de la santé donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »

Dès que l’on commence à ne pas se sentir bien dans sa vie, on s’éloigne de la santé.  On emprunte le chemin de l’apparition de symptômes de maladies. Ces symptômes de maladies peuvent mettre des années à se révéler.

Le pays ne peut pas se passer d’un vrai débat sur la politique de santé. L’organisation de la chaîne du soin, de la prévention, de la médecine scolaire, de la santé au travail, de la médecine de ville, du service public de santé devrait faire l’objet d’une étude systémique.

Les urgences (*)

Prenons l’exemple de la saturation des services des urgences hospitalières.

Premièrement, si l’on accepte de priver la population de médecins généralistes après vingt heures, il faut accepter de renforcer le service des urgences de l’hôpital pour accueillir ceux qui ne peuvent pas payer « SOS médecin » ou des consultations de nuit à cinquante euros. A ce jour, il n’est plus possible dans certaines grandes villes de trouver un médecin conventionné à un tarif raisonnable. Le malade se dirige alors vers les urgences qui ne sont pas équipées pour cela. Les brancards s’alignent dans les couloirs. Les agents sont stressés. Les vraies urgences sont retardées. La violence se développe. Personne n’est satisfait.

Pourtant les urgences doivent pouvoir accueillir, écouter, expliquer, éduquer, répondre à n’importe quelle demande avec un effectif et des locaux suffisants. C’est un choix politique. On ne se présente pas aux urgences par hasard.

Deuxièmement, il n’y a pas assez de lits dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD). Cette absence de place sature les unités de moyens séjours, qui saturent les lits de courts séjours, qui obligent les médecins à faire sortir de ces lits des personnes qui n’ont pas retrouvées leur autonomie de vie. Elles vont donc rechuter et reprendre le chemin des urgences, pour revenir en courts séjours, etc.

Troisièmement, les services de courts séjours, la chirurgie notamment, programment toute l’activité sans laisser aucune marge pour accueillir les urgences.

Enfin et ce n’est pas le moindre mal, la sortie précipitée de malades par soucis de rentabilité, T2A oblige, place les professionnels de santé dans un sentiment d’abandon des bonnes pratiques. Or c’est justement ce conflit d’éthique, cette charge émotionnelle qui est source de violence et de souffrance conduisant à l’abandon de la profession ou, au mieux, à la hausse de l’absentéisme.

Toute la chaîne des soins est ainsi désorganisée, saturée, épuisée, et donc d’une qualité contestable pour un résultat médiocre. Il est facile de comprendre que l’organisation d’un système de santé compartimenté n’est pas compatible avec une prise en charge globale, continue et efficiente du patient.

Pour la prévention effective (*)

Il n’est pas besoin de publier une nouvelle réforme sur l’organisation de l’hôpital. C’est avant tout une histoire de recettes et de dépenses. Tout est fait pour réduire les dépenses alors qu’il faudrait engager une réforme pour préserver la bonne santé. Un débat national, un « grenelle de la santé » serait nécessaire pour engager la France dans cette voie.

La chaîne des soins est un des aspects du problème global de la bonne santé. Mais, nous ne pouvons faire l’impasse sur la prévention qui doit s’intégrer dans cette nouvelle logique de préservation de la bonne santé de la population. Elle touche de nombreux domaines.

L’environnement, les addictions, l’alimentation, les transports, le niveau de ressources, la qualité du travail, l’éducation, etc. Si des réponses sont initiées dans certains domaines, cancers, nutrition, enfance, par exemple, il en est d’autres qui sont très nettement abandonnés.

A l’école, au collège, au lycée, à la faculté, dans les entreprises ou dans la fonction publique, soit près de quarante millions de Français, la médecine préventive, la médecine du travail est malmenée. La prévention est pourtant tellement nécessaire. C’est un investissement qui est considéré à tort comme une charge.

Par exemple, l’INRS a consacré un dossier à « l’analyse coût-bénéfice des actions de prévention »[1] et qui porte sur le risque de manutention pour le personnel soignant. Dans un cas étudié, l’évaluation montre, avec l’hypothèse d’une réduction de 60% des accidents de travail, que les investissements en prévention sont rentabilisés au terme de 3,3 années. Cette étude souligne l’intérêt du recours à l’évaluation coût-bénéfice dans le cadre d’investissements en prévention. Elle conclut en soulignant « qu’il faut aussi considérer des bénéfices moins tangibles comme l’amélioration de la productivité, l’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’image de l’hôpital ».

La prévention est donc un enjeu majeur et les acteurs de cette discipline qui permet d’éviter la maladie méritent la même rémunération que ceux qui la traitent.

C’est pourquoi les métiers de la prévention doivent être revalorisés.

La santé n’est pas une dépense mais un investissement pour une société équilibrée. Pour l’Organisation Mondiale de la Santé, « une politique de santé équitable doit non seulement combattre la maladie, mais aussi assurer à la population un minimum de bien-être et d’épanouissement ».

Nous sommes bien loin du compte.

C’est pourquoi, il faut investir. Un grand emprunt serait nécessaire auprès d’une économie au service des hommes, c’est-à-dire, d’une économie basée sur le rôle régulateur d’un État pouvant emprunter auprès de sa banque centrale sans intérêts, comme avant 1973.[2] Il servirait à créer un grand service de la prévention de la santé. Il organiserait tous les acteurs actuels, de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, à l’inspection du travail, en passant par le réseau des médecins du travail, l’éducation nationale, les services de l’environnement, les services de consultations de l’hôpital, etc.  Une prévention territorialisée indépendante et accessible à tous gratuitement.

Il faudra aussi repenser le financement de l’hôpital.

Pour un hôpital rassemblé et intégré (*)

Nous avons pu mesurer à quel point la tarification à l’activité était mal adaptée à certaines disciplines. L’avis n°101 du Comité d’éthique cité précédemment doit inspirer une réforme du financement de l’hôpital. La tarification à l’activité devra non seulement se limiter aux actes techniques de médecine, de chirurgie et d’obstétrique, mais elle devra reposer sur la réalité des coûts. Le système actuel qui conduit à la baisse des tarifs alors que les charges augmentent, devient insupportable pour tout le monde.

Les missions de santé publique doivent rester des réponses politiques et non économiques.

La mise en œuvre d’une réelle politique de santé centrée sur le malade et assortie d’un système préventif coordonné, permet d’établir des passerelles de compétences et d’emplois du curatif vers le préventif. De nouveaux métiers seront nécessaires. C’est aussi une bonne opportunité à saisir pour maintenir au travail tous ceux qui aujourd’hui se retrouvent en invalidité parce qu’il n’existe aucun poste adapté à leur état de santé. L’expérience au service de la prévention doit devenir une réalité.

L’environnement de l’hôpital aura considérablement évolué. Il restera un service public financé par la solidarité nationale. Mais cela ne suffira pas à calmer tous les maux qu’il rencontre aujourd’hui.

Les témoignages de cet essai ne sont que la partie apparente de l’iceberg. Les causes du mal-être sont connues et reconnues et d’autres sont à venir si la même approche politique demeure. Le collectif de travail doit redevenir une priorité d’un hôpital mobilisé, d’un hôpital rassemblé. »

C’était en 2011 !

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[1] Enjeux statistiques l’Institut National de Recherches et de Sécurité « Hygiène et Sécurité du Travail » n°215 de juin 2009 : « analyse des coûts-bénéfice des actions de prévention – exemple de manutention pour les personnels soignants »

[2] Denis Garnier. « Libérez-vous de l’économie contre le travail » Editions le Manuscrit 2011.

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(*) Extraits du livre « L’Hôpital disloqué » 2011. Publié il y a 10 ans, ces extraits dessinent une voie possible, mais qui impose de changer de logiciel économique soutenu par les droites et la social-démocratie de ces 20 dernières années. Une revalorisation des salaires accompagnée par une hausse des cotisations sociales deviendra une des solutions pour refinancer les services publics, sauf à vouloir tuer les solidarités nationales.


En complément :

Un constat de plus que rien ne changera : « Des départs massifs de soignants » : la commission d’enquête du Sénat face à la déliquescence de l’hôpital