Déconfinez-vous ! Lisez bordel !

Je vis comme vous dans le monde de l’immédiateté, de la compassion, de l’émotion. Ainsi s’enchaînent les faits, les réactions et, pour clore le débat,  les jugements : ils disent tous la même chose ; tous pareils ; tous pourris ; on ne peut rien faire, etc. Ainsi, les certitudes s’affermissent, les grandes gueules dominent les silencieux, les forts s’imposent aux faibles, la parole rabâchée devient une vérité. Si, à cela, s’ajoute la peur, n’importe quel régime peut devenir totalitaire au sens de Hanna Arendt [1], c’est-à-dire par la dilution de l’individu. C’est le moment présent.

Je connais, vous connaissez comme moi  des grandes gueules qui veulent toujours avoir raison. Vous avez certainement entendu comme moi ces affirmations qui sont rabâchées en boucle depuis trente ans ; « La France est le pays où l’on travaille le moins au monde », « La dette publique est un danger pour les générations futures », « Notre modèle social n’est pas adapté à la mondialisation », « Le Code du travail empêche les entreprises d’embaucher », « Mener une autre politique économique, c’est finir comme le Venezuela ou la Corée du Nord ».

Cela fait trente ans qu’on nous sert les mêmes recettes pour justifier le prochain bonheur du peuple ! Mais il est ou le bonheur ? Je suis sûr qu’à cet instant vous vous posez vraiment la question comme moi : Pourquoi ? Mais pourquoi nous raconteraient-ils tout ceci si ce n’est pas vrai ? On se rejoint. Ce fut le début de mon parcours. Qui ? Et pourquoi ?

Je vous invite à suivre le chemin que j’ai emprunté pour tenter de trouver des réponses à ces questions. Vous allez être surpris je le pense. Mais vous avez remarqué que les hommes et les femmes sont d’autant plus célèbres qu’ils sont morts ! S’ils sont célébrés c’est certainement parce qu’ils ont écrit des choses intéressantes ? Voyez par vous-mêmes !

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Lire pour comprendre et résister pour exister

Tout d’abord je n’aime pas la manipulation, l’abêtissement, qu’on se serve de moi à mon insu. D’autres dirons : je n’aime pas être pris pour un imbécile !

« Le discours de la servitude volontaire » d’Etienne de la Boétie (1548) est une borne sur mon chemin. Par réaction, ma soif de rester un homme libre et critique s’est aiguisée. Pourquoi ? Parce que je ne veux pas ressembler à ces gens là ; « Ces gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute bonne action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir ».  

Dans le monde du travail on appelle cela, de d’exploitation dans laquelle la culture de l’inégalité devient un outil de domination voire l’aliénation. L’envie de résister s’amplifie !

Nous ne sommes pas tous égaux dans cette nécessaire résistance. Jean-Jacques Rousseau dans «le discours sur l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes » (1755) conçoit dans l’Espèce humaine deux sortes d’inégalité ;

« – l’une que j’appelle naturelle, ou Physique, parce qu’elle est établie par la Nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du Corps, et des qualités de l’Esprit, ou de l’Ame ;

l’autre qu’on peut appeler inégalité morale, ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte de convention, et qu’elle est établie ou du moins autorisée par le consentement des Hommes. Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques uns jouissent, au préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus honorés, plus Puissants qu’eux, ou mêmes de s’en faire obéir. »

Je ne sais pas si le Préfet de Paris (celui à la grande casquette), avait bien intégré ces deux sortes d’inégalités lorsqu’il s’est adressé à une manifestante en lui rétorquant : « Madame, on n’est pas dans le même camp ».

Si la première est acceptée comme naturelle, l’autre doit faire l’objet de la plus grande vigilance car « autorisée par le consentement des Hommes » (notre vote) mais le plus souvent, se combattre car « quelques uns jouissent, au préjudice des autres ».

Mais combattre l’inertie est une chose difficile et le « on ne peut rien faire » résonne d’autant plus dans nos esprits lorsqu’on découvre avec stupeur les modalités d’action de ces dominants.

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« Le Monstre doux » de Raffaele Simone, (2008) décrit parfaitement cette forme de domination qui « dégraderait les hommes sans les tourmenter ».

« Isolés, tout à leur distraction, concentrés sur leurs intérêts immédiats, incapables de s’associer pour résister, ces hommes remettent alors leur destinée à un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d’assurer leur jouissance et ne cherche qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance. Il ne brise pas les volontés mais il les amollit, il éteint, il hébète ».[2]

C’est pas terrible n’est-ce pas ?

Nous ne serions plus libres, mais emmurés au sein de la seule pensée des dominants, perdant tout esprit critique, répondant aux ordres qu’on nous donne sans oser poser la moindre question sur le bien fondé de ces derniers.

Dans le monde du travail, le monde que je connais le mieux, c’est en lisant les ouvrages de divers spécialistes de la souffrance au travail, (R. Sennett, C. Dejours, M. Pezé, Y. Clot, V. de Gaulegeac) que j’ai pu comprendre combien il était important d’organiser la « dispute professionnelle »[3], cet échange contradictoire entre les travailleurs pour atteindre la meilleure qualité du travail. Ne rien se dire, se coucher, obéir aux injonctions paradoxales sans réfléchir, la servitude volontaire ne peut qu’entretenir la médiocrité et nous prive de toute évolution.

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Franchement il n’est pas possible d’en accepter l’augure !

Jean Jaurès, dans son « discours à la jeunesse », (1903) exulte le peuple à faire preuve de courage « de chercher la vérité et de la dire, de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. » [4] La lecture intégrale de ce discours éveille.

A cet instant je pense à tous les lanceurs d’alertes qui de part le monde ou dans les entreprises, dénoncent les mensonges triomphants qui passe sans se soucier de leur personne.

Dans une moindre mesure, Didier Bille par son livre « DRH, la machine à broyer »,[5] a fait preuve de ce courage, où s’est libéré du fardeau de ses activités passées de DRH dans un grand groupe, ou tout s’organise pour que le salarié devienne une pièce mécanique aussi froide que l’acier. Un récit fortement dénoncé par la profession qui ne se reconnaît pas dans cette forme de gestion inhumaine des salariés.

J’aurai pu en déduire qu’ils sont tous pareils, tous des salauds et ma vérité se serait échouée sur l’évidence de la réalité. La lecture de « L’éloge du bien-être au travail » [6], la participation à des conférences du Professeur Mathieu DETCHESSAHAR [7], m’ont permis de connaître et de comprendre qu’il existe d’autres façons de traiter ces difficultés par un nouveau type de management qui prend en compte le travail réel.

Mais vous avez raison, il existe de vrais salauds et je me suis toujours demandé si leur responsabilité était solitaire ou partagée ?

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Alexandre Jardin dans son roman « Des gens très bien », (2011) démontre que

« lorsqu’un individu doté d’une vraie colonne vertébrale morale s’aventure dans un cadre maléfique, il n’est plus nécessaire d’être le diable pour le devenir » [8].

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Il en va ainsi de toutes celles et de tous ceux qui perdent leur liberté en oubliant d’exercer leur esprit critique. Cette lecture m’a permis de comprendre, et non d’excuser, les hommes qui signent les plans de licenciements décidés par d’autres, ou des fermetures de lits dans les hôpitaux, ou qui privatisent les services publics. Ils le font parce que pour eux la vérité est unique et c’est la leur et, soumis, ils s’exécutent !

Emmanuel Kant nous apprend, de ce que j’en ai compris « qu’il est de la nature intelligible de l’homme de pouvoir par une décision s’extraire de cette détermination, se constituer comme sujet libre, refuser la passion et vouloir seulement la réalisation de l’universalité » [9] (1784). Même si je l’ai peu lu pour le moment, j’ai une attirance pour Kant qui est l’homme de la critique.

Aussi, il faut savoir raison garder et François Châtelet nous invite à comprendre « Une histoire de la raison » (1992) par laquelle « il s’agit bien toujours de démontrer, de constituer ce champ dans lequel la vérité est administrée par la voie démonstrative et non pas, comme dans la religion, par voie de révélation » [10]

Cette voie démonstrative interdit les « tous pareils », ou les « tous pourris » sauf à le démontrer, mais dans ce cas, pourquoi l’auteur de ces facilités de langage serait-il différent ? C’est un peu l’arroseur arrosé non ?

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Les rencontres : une chance !

Soit ! J’ai eu la chance dans ma vie de croiser des « sachants », des fortes personnalités libres et acérées qui m’ont appris le chemin de la critique et donc, de la raison démonstrative. La lecture, et quelques conférences, nous apprennent le courage nécessaire pour nous extraire de ce pouvoir immense et tutélaire, pour exercer notre esprit critique et trouver la liberté dans tous nos espaces.

J’ai été un peu long peut-être ? Je vous en assure, bien moins que le temps qu’il m’a fallut pour vous retrouvez à cette ligne.

Comme le sport entretien le corps, la lecture développe l’esprit. Certes, il ne viendrait à l’idée de personne de débuter le sport par un marathon.

Donc, je n’ai pas commencé la lecture par « la comédie humaine » de Balzac et ses quatre vingt dix ouvrages. Mais par des romans passionnants comme « Les raisins de la colère » de Steinbeck, « Les grandes espérances » de Dickens, ou bien encore « Bel-Ami » de Maupassant, sans oublier « L’île au trésor » de Stevenson. Ils ont largement égailler mon plaisir pour entrouvrir les portes de « la bibliothèque de Babel » de Borges [11] (1941). Mais à chacun son chemin, ses livres et ses plaisirs.

Pour moi, un livre poussant l’autre, je suis passé de l’apparente simplicité de la lecture des « aventures de Tintin » de Hergé il y a quelques années, à l’apparente complexité du « Traité d’économie hérétique – En finir avec le discours dominant » de Thomas Porcher ! [12]

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Avec mon CAP, j’ai appris un métier. Avec la lecture, j’exerce ma liberté.

Alors, déconfinez-vous ! Lisez bordel !

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Nota : Merci Roger, et, sans les nommer, je voudrais remercier mes correcteurs qui m’ont permis de réorganiser ce texte de manière intelligible par tous.


[1] « Les Origines du totalitarisme » (1951) Hanna Arendt

[2] Raffaele Simone, Extrait d’un entretien au journal « le Monde » 12 septembre 2010 ; son livre « Le monstre doux » éditions Gallimard – 2008

[3] « Le travail peut-il devenir supportable » d’Yves Clot et Michel Gollac – éditions Armand Colin – 2014

[4] Extrait du « discours à la jeunesse », par Jean Jaurès au lycée d’Albi 1903

[5] « La machine à broyer – Recruter, casser, jeter » Didier Bille – Editions Le Cherche-Midi – 2018

[6] « L’éloge du bien-être au travail » de Dominique Steiler, John Sadowsky et Loïc Roche – éditions Presses Univesitaire de Grenoble – PUG -2010.

[7] Mathieu DETCHESSAHAR Professeur des Universités – Laboratoire d’Economie et de Management Nantes-Atlantique (LEMNA)

[9] Emmanuel Kant – Philosophe allemand du XVIIIème siècle, mort en 1804 à l’âge de 80 ans-  « Qu’est ce que les Lumières ? » 1784

[10] « Une histoire de la Raison » Editions du seuil 1992 – François Châtelet -Philosophe (1925-1985)

[11] « La bibliothèque de Babel » Jorge Luis Borges- 1941

[12] « Traité d’économie hérétique » -Thomas porcher -Editions fayard mars 2018

2 commentaires

  1. Bonjour Denis,
    Merci pour ces billets d humeurs qui alimentent la nos pistes de reflexion.
    Je trouve neanmoins les raisonnements et les prises de position souvent trop partisanes….le bien/le mal, les riches/les pauvres, le prive /le public ….l etre humain et notre societe sont a mon sens plus complexe. La lecture, les infos peuvent etre de meme tres orientees et si l on ne fait pas l effort de varier ses sources.On peut s enfermer dans ses convictions et le trop plein de certitude est dangereux. La critique est constructive si elle est mesuree et prend en compte un ensemble de facteurs et de point de vue je crois, sinon elle devient souvent plus dangereuse que ce qu elle combat.
    On critique nos elus, ceux qui gouvernent, qui financent……..mais qui achete, qui consomme ? Ne faisons nous pas nous meme parti du systeme ? Il est possible de s affranchir de nombreuses contraintes, d accroitre son independance par certains choix qui ne sont pas dicte par les puissants.
    Pour ma part, ainsi que celle de ma famille, nous vivons depuis 20 ans ce que l on pourrait definir de « sobrite heureuse » … peu de possession materiel, travaillant moderement en tout cas pas sous la contrainte, sans pour autant dependre d aides sociales ou de qui que ce soit ce qui serait contraire a notre ideal de liberte.
    Il s avere qu il y a toujours maniere a progresser pour gagner encore en coherence et globalement je crois que dans notre societe francaise tout du moins, beaucoup est possible a titre individuel. Je trouve que la rancoeur et la complainte sont parfois des armes de facilite pour eviter de se confronter a ses contradictions. En ce qui nous concerne nous sommes souvent montre du doigt pour notre mode de vie « alternatif » par nos semblables (de niveau social j entend) plutot que par les grands de ce monde…Le bohneur, la respectabilite, la reussite… sont evalues pour une majorite de congeneres par nos possessions, notre image plus que par nos valeurs et cela ne genere t il pas frustration, jalousie….? Je crois que cela n est pas different a St Pierre.
    C est pourquoi je pense que si la critique est necessaire comme au travers de tes articles elle ne peut pas etre unidirectionnelle pour etre audible et doit inclure une reflexion sur chacun d entre nous et pas uniquement sur l autre, l ennemi….
    amicalement
    sebastien

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    1. Oui Sébastien. Je partage ces remarques formulées avec bienveillance et c’est pourquoi je veux ici y répondre. Cet article a pour but essentiel d’exposer une démarche qui mène à la réflexion démonstrative pour éviter les poncifs en tout genre. Je suis bien d’accord ! On ne peut pas former un point de vue, une analyse à partir de lectures qui vont toutes dans le même sens. C’est pourquoi j’ai lu aussi du Milton Friedman, le père du libéralisme financier, mais aussi Frédéric Bastia le père du Libéralisme Français du 19ème et ce, sur les conseils d’un de mes oncles, Jean-Pierre Givry (Élève de Maurice Allais et de Marcel Boiteux). J’ai lu et je lis de tout. C’est ainsi qu’à partir de ces lectures j’ai pu modifier, ou conforter, ma perception de la droite, de la gauche, du Gaullisme, du capitalisme, du libéralisme (à la manière de Maurice Allais ou Bastia) et du libéralisme spéculatif à la façon Friedmann (École de Chicago). J’en ai fait un livre publié en 2011 (Libérez-vous de l’économie contre le travail) pour faire une sorte d’arrêt sur image. Et après, lorsque je me suis fait une idée de tout ça, j’exprime mes préférences. Celles-ci peuvent effectivement ressortir dans mes écrits comme celui-là, et je ne m’en défends pas, bien au contraire. Je suis donc un passionné, c’est à dire un homme qui ne peut pas passer son temps à expliquer tout par son contraire ! Je deviens donc un militant de mes convictions (et non de mes certitudes). Mais j’ai bien conscience de n’être qu’un grain de sable à côté du rouleau compresseur médiatique qui rabâche à longueur d’émissions les bienfaits de la mondialisation et de tout ces machins qui conduisent à connâitre dans le même pays un des hommes les plus riches de la planète et 9 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Je ne suis jaloux de rien et je vis plutôt bien avec ma retraite de 2300 et quelques euros par mois. Mais depuis tout petit j’ai toujours eu ce réflexe de servir ceux qui n’ont pas eu ma chance, contre ceux qui abusent de leur position. Merci de cet échange.

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