L’hôpital disloqué par des gens très bien.

En 2011 j’écrivais « L’hôpital disloqué ». Aujourd’hui, la population constate les dégâts devant une classe politique coupable et insensible. L’hôpital, est une proie qu’il faut saigner avant de la livrer aux lois du marché. L’eau, l’énergie, les autoroutes, etc. y sont passés. En 2011 je décrivais le cœur du traumatisme hospitalier et je me suis retrouvé en juin 1942 !

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Extrait : « L’hôpital disloqué » Denis Garnier -Éditions Le manuscrit – 2011

« Une rencontre peut nous faire comprendre les causes essentielles des maux qui s’abattent sur l’hôpital et plus généralement sur le monde du travail.

Tout s’est bien passé. Je sors de mon hôtel, apaisé, rassuré, content d’avoir pu réaliser la mission qui m’était demandée. Je marche tranquillement sur le large trottoir de cette avenue au bout de laquelle se trouve la gare d’Arras. J’entre dans le hall. Je suis en avance. Trente minutes me séparent du départ. Je m’avance vers le kiosque à journaux. J’ai terminé la lecture de mon dernier livre dans le TGV qui m’a transporté jusqu’ici. C’était le dernier de Marie Pezé : « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés ». Très intéressant, pour ceux qui s’intéressent et qui veulent comprendre la souffrance au travail dans les entreprises.

Je l’ai acheté comme un acte militant parce que Marie Pezé, psychologue clinicienne, docteur en psychologie, psychanalyste et psychosomaticienne, qui a créé à Nanterre la première consultation « souffrance au travail », a été virée de son poste en juillet dernier. Elle a perdu du même coup tous les emplois afférents : ses fonctions de responsable pédagogique, d’experte devant les tribunaux et d’enseignante à l’université.

Estelle victime des raisonnements métalliques d’un hôpital qui renie chaque jour davantage l’humanité ?

Dans son intervention auprès de la mission du sénat, Marie Pezé a considéré « qu’il est important de rattacher la médecine du travail à une autorité indépendante plutôt qu’aux employeurs et qu’elle doit être l’objet d’une plus grande considération ». Elle ne savait pas, que quelques mois plus tard, son médecin du travail, rattaché à son employeur, la reconnaîtra inapte à l’emploi.

J’ai donc aimé ce livre qui propose en fin d’ouvrage tout le lexique, la méthode, les tableaux cliniques, les indicateurs objectifs de la souffrance au travail, les éléments nécessaires à la compréhension d’un risque qui touche tous les secteurs d’activité. Je l’ai apprécié. Il m’a beaucoup servi pour préparer cette journée d’Arras que je viens d’animer. Une journée pour aborder le problème des risques psychosociaux dans les hôpitaux.

Ce ne fut pas facile. Surtout à la seconde table ronde, lorsque le mari d’une infirmière raconta tout le chemin qui a conduit sa femme à la tentative de suicide.  Une histoire comme on en rencontre beaucoup dans l’arène du travail.  Elle était appréciée, disponible dans son service des urgences. Heureuse en couple avec ses trois enfants. Elle embrassait la vie comme tous les gens qui ont trouvé l’équilibre entre le travail, la famille et la vie sociale. Elle était militante syndicale.

Un jour, une douleur aux cervicales. Une menace de cancer qui heureusement sera démentie par les biopsies. Six mois d’arrêt de travail. Cela suffit à lui faire perdre son statut de « salariée conforme ». Après de multiples démarches, elle revint en service, dans un service hostile à l’anormalité. La situation, gérée par deux cadres, qui furent déplacés par la suite, ne fit qu’empirer de jour en jour. Des mesquineries, des changements de plannings, des refus de congés, des déplacements de repos, etc., etc. Il faut savoir qu’à l’hôpital, organisé en pôles d’activités, l’anormalité porte atteinte à la performance.

Chaque jour elle venait travailler la peur au ventre jusqu’à ce matin du mois de mai 2010. Son mari est venu raconter cela en expliquant combien depuis ce jour leur vie est perturbée, combien il appréhende la récidive qui emporte plus de 30% de ceux qui ont tenté une fois « Lorsqu’elle m’a dit qu’elle voulait récidiver, alors je luis ai dit que dans ces conditions moi aussi je me suiciderai et que les gosses seraient placés à la DDASS »

Un long silence glaça les directeurs d’hôpital, les DRH, les cadres et les deux cents personnes qui assistaient à cette table ronde.

Devant l’étalage de livre du kiosque, j’avais envie de changer d’ambiance. Mes yeux parcourent les titres des bouquins, des bouquins de boutiques de gare.

Alexandre Jardin ! C’est bien ça ? « Des gens très bien » ! Je regarde le dos de couverture qui ne présente que des mots rassurants : « Tandis que mon père s’endort peu à peu contre moi, je lui parle une dernière fois : Plus tard, tu ne pourras pas vivre avec le secret des Jardin. Tu feras un livre, le Nain Jaune, pour le camoufler. »… Dors mon petit papa, dors. »

Un roman de 290 pages. De quoi occuper un aller-retour Paris-Bordeaux, mon prochain trajet. Je le prends ! Après les premiers kilomètres qui m’éloignent d’Arras, dès la première page, le roman « apaisant » me transporte en 1942. Le Nain Jaune, n’est autre que le grand-père d’Alexandre Jardin, « le principal collaborateur du plus collabo des hommes d’État français : Pierre Laval, chef du gouvernement du Maréchal Pétain. »[1]

De page en page des éclairs perturbent ma lecture. Les risques psychosociaux que je croyais enterrer par cette récréation remontent à la surface. Les phrases claquent en échos à ce mal être que j’étudie depuis quelques mois.

« Tôt dans ma vie, j’ai donc flairé avec horreur que des êtres apparemment réglo – et qui le sont sans doute – peuvent être mêlés aux plus viles actions dès lors qu’ils se coulent dans un contexte qui donne un autre sens à leurs actes. Lorsqu’un individu doté d’une vraie colonne vertébrale morale s’aventure dans un cadre maléfique, il n’est plus nécessaire d’être le diable pour le devenir. »

Trop tard ! Ce que je considère alors comme un absurde rapprochement, hante mon esprit. Les images, les mots, les comportements, les bouquins de management, les salariés rencontrés, « le triomphe de la cupidité » de Stiglitz, « La trahison des économistes » de Gréau, « L’état prédateur » de Galbraith, « Travailler à en mourir » de Moreira et Prolongeau, « Le monstre doux » de Raffaele Simone, les livres du Professeur Dejours, d’Yves Clot et bien sûr celui de Marie Pezé, raisonnent comme le glas qui marque le silence d’une marche coupable vers le néant.

Je relis… des gens très bien : « Des êtres réglos qui sont confrontés aux plus viles actions… il n’est plus nécessaire d’être le diable pour le devenir… »

J’étouffe d’un système qui oppresse le peuple sans le traumatiser. Les lumières qu’offrent ces lectures devraient pourtant éclairer le monde. Mais en laissant le livre fermé, l’inertie devient coupable. Il n’existe que la vérité de son savoir. Chaque certitude devient une source d’erreur. »

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[1] Alexandre Jardin « Des gens très bien » Éditions Grasset et Fauquelles et Alexandre jardin – 2010 – p 23

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1 commentaire

  1. je suis soignante libérale… Toute mon admiration pr le temps que vs prenez afin de REVEILLER les « gens », grand merci à vous, suis aux Antilles et reve de venir chez vous!!!

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